Pierre Sidon

 

Les addictions, on en parle partout. Mais pour qui font-elles véritablement symptôme ? Pas nécessairement pour lesdits addicts eux-mêmes. Pour la société, cela semblerait assuré… Sauf que La société, ça n’existe pas forcément. On en parle en tout cas, elles défraient la chronique, ou plutôt les chroniques : pas une rubrique qui ne soit concernée : santé, société, éducation, faits divers, judiciaire, international, économie… politique même, les addictions sont partout. Mais sont-ce des addicts dont on parle ou des addictions ?
Parler des addictions, c’est parler produit, comportement, c’est surtout parler des objets, des choses. Mais le sujet qui compulse, consomme, se consume… Qu’en dire ? Que dit-il lui-même ? Souvent bien en peine de se plaindre d’autre chose que de son manque, réduit au statut de malade et incurable par dessus le marché par les vertus du discours scientiste, il est identifié à son produit, un sujet acéphale, le vendeur idéal ; un cercle vicieux parfaitement incarné par les groupes d’Anonymes aussi bien que par le discours universitaire biologisant.
Comment en sortir ? The truth is not in the pudding ! Parler des addictions, c’est l’impasse car la cause n’est pas dans la substance, dans l’objet… Ou alors il faut considérer que la substance, l’objet, c’est celui qui consomme. Et comprendre pourquoi l’on peut être voué à incarner un tel objet et à le devenir par les vertus de la consommation ou d’un comportement ruineux. L’objet drogue, lui, ne parle pas. Pas plus que le neurone, n’en déplaise aux adorateurs du cerveau. Redonner la parole à celui qui consomme, telle est la méthode.
Mais que faire lorsque cette consommation, fait courant, ne fait pas symptôme pour lui ? Que faire lorsqu’au contraire, constat classique, elle a constitué une aide face à des symptômes qu’elle a fait taire ? L’affaire est d’autant plus problématique que ladite société elle-même, comme l’a annoncé jadis Jean-Pierre Couteron, serait « addictogène ». Réformer la société ? Éduquer ? Pourquoi pas. Serait-ce suffisant ? Peut-être pas.
C’est que si la société est addictogène, c’est parce qu’elle n’existe pas : que le lien social qui relie les individus a muté à mesure de la « montée au zénith de l’objet » (Lacan) : une « pluie d’objets » (Jacques-Alain Miller) s’abat sur chacun, remaniant son mode de jouissance et ses relations à l’autre. Qu’un nouvel épicurisme (jouir ni trop ni trop peu) serait beau ! Mais comment y atteindre ? Nos universitaires professeurs de vertus y parviendront-ils, armés de l’espoir de… toxiques anti-toxiques ? Eduquant à des comportements anti-comportements ?
Il faut plutôt parier sur le possible. Comment ? Si l’addiction, c’est le recours de sujets pétrifiés à toujours plus de pétrification dans l’espoir, toujours déçu, de se désaliéner, alors il est possible de contrer cette identification à l’objet par une pratique de parole. Car si l’addiction ne fait pas symptôme pour l’addict, qu’elle est plutôt jouissance – au sens d’un appareillage de la jouissance du corps propre qui lui fait problème, elle ne parle pas. Mais l’addict n’est-il qu’un addict ? N’est-il pas aussi un être humain, un sujet, un parlêtre (Lacan) ? L’appareillage par les prothèses, chimiques ou autres, a-t-il définitivement gagné, pour un sujet ? pour la société ? ou est-il encore possible de converser un tant soit-peu ? Si oui, alors pour un temps encore, peut-être, continuerons-nous à parler et à inviter à parler.
Car parler, c’est faire vivre cette dimension d’irréalisation propre à la vie humaine, qui s’oppose à l’utilitarisme et qui en fait le sel. Mais parler c’est aussi la virtualité d’un changement possible, d’une déprise des assignations (Foucault) les plus puissantes lorsqu’elle sont identifications à un objet  (Lacan). Parler, c’est contrer le court-circuit qui aliène chacun chaque jour un peu plus aux objets et à la « politique des choses » (Milner). Parler, c’est faire un détour. Parler, c’est perdre du temps, donc en gagner. Parler, c’est respirer, c’est vivre un peu mieux, un peu plus, vivre tout simplement, exister. Alors nous parlons avec lesdits addicts plutôt que parler des addictions ou des addicts. Nous parlons et nous en parlons et nous vous invitons à venir en parler avec nous, parce que la clinique, la vraie, celle qui ne se réduit pas à classifier mais donne la parole à des sujets singuliers, ce n’est pas seulement une alliée contre les addictions, mais la possibilité d’un véritable partenaire pour les addicts, soit le seul traitement.

 

Retrouvons-nous pour la septième année consécutive de ces Conversations Clinique et Addictions avec le réseau international du TyA et l’Envers de Paris à-partir de janvier 2020. Cliniciens, n’hésitez pas à proposer de présenter des situations, expériences, lectures ou autres présentations, quelques qu’elles soient… Du moment qu’elles sont les vôtres !

 

Renseignements et inscriptions sur www.addicta.org/conversations

 

 

 

Dates des prochaines Conversations :

 

13 janvier 2020

 

24 février 2020

 

23 mars 2020

 

27 avril 2020

 

25 mai 2020

 

22 juin 2020

 

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