TyA / Toxicomanie et Alcoolisme, Réseau du Champ freudien

Éditorial par Pierre Malengreau

Il y a du réel, et l’inconscient est une hypothèse féconde. C’est ce que l’expérience d’une psychanalyse nous apprend. L’action lacanienne consiste à en tirer les conséquences épistémiques, cliniques et politiques. Il y a bien des façons de s’y inscrire. Les Conversations du TyA en font partie. Elles ont la prétention de témoigner de quelle manière des psychanalystes tirent les conséquences de ce que l’expérience analytique leur apprend. C’est une prétention et un pari. Ce n’est donc pas joué d’avance. Chaque conversation a la prétention de soutenir dans des échanges cliniques ce qu’il y a de réel, de discontinu, de contingent dans la pratique de chacun des intervenants. L’unicité de l’orientation et la multiplicité des pratiques sont ici de mise. Prendre en compte qu’il y a du réel implique qu’on ne peut en attraper que des bouts de ce réel, et que les vérités qui s’en réclament sont nécessairement locales. La psychanalyse oppose de ce fait à la diversification grandissante des formes particulières de dépendance, les réponses singulières de chacun.
Plusieurs rencontres du TyA s’annoncent pour le début de l’année 2015 à Athènes, Rennes, Paris et Bruxelles. Elles témoignent d’une constance dans la méthode. Partir de ce qui est écrit et ne pas craindre les malentendus font partie des vertus des Conversations duTyA. Le sujet dit dépendant est bien placé pour savoir ce qu’est la jouissance qui commande de toujours en remettre. Ces Conversations le mettent à l’honneur, par ce qu’il dit et par les questions qu’il pose à la psychanalyse. Il est là pour rappeler que s’affronter au réel de la jouissance implique autre chose que des belles paroles. Il est de la responsabilité des psychanalystes de se constituer comme un lieu d’adresse qui ait quelque chance de répondre.

Des nouvelles du TyA-Athènes par Epaminondas Theodoridis

Connected cartel
Notre collègue Epaminondas Theodoridis nous fait savoir que le TyA-Athènes se porte bien. Les outils de communication modernes permettent notamment aux personnes qui travaillent en institutions auprès de toxicomanes d’élaborer leur clinique en cartel d’un bout à l’autre de l’Europe. Jean-Louis Aucremanne du TyA-Bruxelles est leur plus-un via Skype !
Crise et consommation de drogues
samedi 24 janvier 2015 / 10h – 15h30
Le Réseau TyA en Grèce et la Société hellénique de la New Lacanian School organisent la 3ème Conversation du TyA à Athènes avec la participation de Nadine Page du TyA-Bruxelles.
La toxicomanie est le symptôme social par excellence qui met au premier plan la jouissance du corps, en court-circuitant la jouissance de la parole et en se passant de l’Autre. De ce fait, elle constitue le « briseur de soucis »1 le plus efficace face au malaise qu’engendre la civilisation moderne. À notre époque où la civilisation et ses signifiants-maîtres, tels que le travail, l’éducation et le système de santé, se trouvent en crise, nous sommes témoins de phénomènes inquiétants relatifs à l’abus de substances psychotropes ainsi qu’à la floraison d’autres types de conduites addictives.
Jacques-Alain Miller, dans une interview au journal Le Point, soulignait justement que « le modèle général de la vie quotidienne au XXIe siècle, c’est l’addiction. Le « Un » jouit tout seul avec sa drogue, et toute activité peut devenir drogue : le sport, le sexe, le travail, le smartphone, Facebook… »2. L’addiction généralisée est le symptôme de notre époque, dictée par l’impératif catégorique « Jouis ! ». En d’autres termes, le symptôme social prend des formes nouvelles dans la mesure où l’Autre change.
Dans le cas notamment de la dépendance aux drogues, la nouvelle donne comme l’augmentation importante des cas d’infection par le SIDA parmi les toxicomanes surtout pendant les années 2011-2012, l’apparition de nouvelles drogues peu onéreuses qui ont des effets mortels imminents (sisa), l’augmentation de la consommation de cannabis, de médicaments et d’alcool par les adolescents, la prise d’anabolisants jusqu’à la mort, ainsi que la pratique de nouvelles techniques de désintoxication rapide qui se passent de la parole (implantation de micro chip de nalorex, hémodialyse, etc.) sont quelques indices qui révèlent que la crise sociale a un impact certain sur l’économie libidinale, l’économie de la jouissance.
L’histoire du sujet toxicomane est caractérisée par une série de moments de crise. Nous savons que la rencontre du sujet avec une institution spécialisée survient dans une conjoncture précise et constitue un moment de crise qui a souvent caractère d’urgence. Un autre moment de crise subjective est la première rencontre avec la substance toxique. Or, dans l’histoire du sujet, ce qui le précède et le marque, c’est l’expérience traumatique de la rencontre du signifiant avec le corps qui déterminera son mode singulier de jouissance. C’est justement ces modes de jouissance, tout à fait distincts pour chacun, qui sont voilés par la consommation de substances psychotropes en effaçant la singularité du sujet dans l’universel.
Si la crise sociale met en évidence des formes ultimes de déchéance du sujet, la psychanalyse, elle, vise l’expérience subjective de la crise dans la rencontre du sujet avec le réel, le hors-discours, l’imprévu. C’est de cette façon, d’ailleurs, que la psychanalyse elle-même continue à être le symptôme social qui élève ce qui cloche pour chacun, son rapport particulier au corps en tant que chair jouissante, à un mode de vie qui n’exclut pas la rencontre avec l’altérité. Mais le rebranchement du sujet toxicomane à la jouissance de la parole et l’accrochage de son corps à un discours restent toujours un pari.
1 Freud S., Malaise dans la civilisation, 1930.
2 Miller J.-A., Les prophéties de Lacan, journal Le Point du 18.02.11.
Renseignements auprès d’Epaminondas Theodoridis : etheodor@otenet.gr

Le TyA-Rennes fête ses 10 ans !

Les nouvelles formes de la jouissance

vendredi 6 février 2015 / 09h30 – 17h

Sex ou work addict, accroc aux forums de discussion sur internet, no life, dépendant affectif… les pratiques addictives se développent et se diversifient de plus en plus. La toxicomanie et l’alcoolisme eux-mêmes ont changé. Les héroïnomanes injecteurs se font plus rares. Le toxicomane peut être parfaitement bien inséré. L’alcoolisme solitaire et déprimé, s’il existe toujours, cohabite maintenant avec le gigantisme des apéros Facebook ou les démonstrations de binge drinking. Certains fumeurs passent à la cigarette électronique, d’autres commencent par là. Des drogues de synthèse toujours plus performantes assurent aux adeptes des slamming parties 48h non-stop de sexe tous azimuts. La pulsion, infatigable, irrépressible, emprunte des circuits inédits qui bousculent l’ancienne « cartographie1 » des modes de jouir. Ces changements fascinent ou inquiètent. Ils interrogent surtout à nouveaux frais notre rapport à l’autre, à l’intime et au corps.
Le sans limite, le toujours plus, prennent progressivement le pas sur le jeu de l’interdit et de la transgression. « Nous ne sommes pas seulement passés de l’interdiction à la permission, mais à l’incitation, l’intrusion, la provocation, le forçage […]. Nulle régulation, plutôt une perpétuelle infraction2 ». Ce mouvement vers l’addiction généralisée dévoile « l’impératif de jouissance3 » auquel chacun est soumis et contre lequel il bute. Les Conversations du TyA nous rendent très sensible à cette dimension véritablement hors-norme de l’expérience. Aux prises avec l’objet de consommation, la pulsion trouve difficilement à s’arrimer à d’autres partenaires et tend à tourner à vide… jusqu’au pire parfois. Le point d’arrêt, l’émergence de l’angoisse, semblent aujourd’hui se situer davantage dans le corps, dans sa réponse à l’excès.
Un positionnement nouveau s’en déduit. Il prend moins appui sur la loi ou les idéaux et s’oriente plutôt de l’accueil des conséquences sur le corps parlant de cette jouissance désormais aux commandes. Il s’agit alors de l’aiguiller vers d’autres voies, mieux articulées dans le lien social. Au-delà du toxique, de l’addiction en tant que tels, l’objet réel du traitement se situe ainsi dans « cette jouissance hors-garantie, informe4 », qui conduit toujours le sujet dans les mêmes impasses, mais dont il fait pourtant son « programme » sans le savoir. En l’encourageant à s’en saisir par la parole, le praticien lui permet cependant de donner une autre forme à sa jouissance opaque, de mieux la circonscrire, et ainsi de s’en séparer a minima.
Nous célébrerons les 10 ans du TyA-Rennes autour de Fabián A. Naparstek, psychanalyste à Buenos Aires en Argentine, membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse et co-fondateur du TyA avec Judith Miller. Au programme : conférence, exposés de cas cliniques, table ronde avec le Docteur Elisabeth Avril, directrice du CSAPA/CAARUD de l’association Gaïa-Paris, et Céline De Beaulieu, chargée de projet. Elles soutiennent auprès des politiciens la nécessité d’ouvrir des structures telles que les salles de consommation à moindre risque à Paris. Nous continuerons ainsi à préciser la façon dont le sujet, s’il est situé dans un rapport singulier à l’Autre et à la parole, est également aux prises avec son corps, ce dont l’addiction témoigne. Nous n’oublierons pas de prendre en compte les coordonnées des modes de jouir contemporains et leurs réponses.
Ainsi, à l’appui de la clinique, qu’appelle-t-on la jouissance au cas par cas ? Comment se matérialise-t-elle aujourd’hui ? Comment répondre aux sujets qui souffrent de ces formes d’excès de satisfaction ? Comment orienter nos pratiques pour inclure cette dimension du hors-sens ? Quel type de réponse nouvelle apportent des dispositifs comme les salles de consommation supervisées ? Et d’autres sont-ils à inventer ?
1 Eric Laurent, Un réel pour la psychanalyse.
2 Jacques-Alain Miller, L’inconscient et le corps parlant.
3 Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore.
4 Eric Laurent, ibid.
Dépliant et affiche réalisées par Jocelyn Cottencin (www.lieuxcommuns.com) en PJ
Renseignements auprès de Julien Berthomier : jul.berthomier@laposte.net

Les Conversations cliniques du TyA-Paris

Clinique et addictions

les lundi 12 janvier, 9 février, 9 mars, 13 avril, 18 mai et 15 juin 2015 / 20h30
Nous reprenons nos Conversations Cliniques ! Comme le suggère notre nouveau flyer, construit sur une fonte du graphiste Benoît Sjöholm, nous faisons, dans notre travail, un effort de continuité, de lisibilité et d’inscription qui lutte contre l’effacement du savoir impuissant face au réel. Le sigle du TyA que nous proposons fait apparaître le signifiant Addictions à la place usuelle d’Alcoolisme. Non pas qu’il nous paraisse devoir s’y substituer, mais qu’il nous paraît impossible de ne pas prendre en compte ce signifiant contemporain qui aimante littéralement la clinique d’aujourd’hui. L’ensemble de ces significations est dans un rapport de contiguïté ou de continuité qu’il s’agit néanmoins de détacher, ce à quoi nous nous vouons. Notre nouvelle année sera, plus que jamais, clinique, critique, polémique et psychanalytique. Avec une pléïade d’invités : Bernard Lecoeur, Fabian Fajnwaks, Fabian Naparstek, Guy Trobas, Rodolphe Adam, Richard Bonnaud, Hugo Freda, Marie Laurent…
Réseau international du TyA – Toxicomania y Alcoholismo du Champ freudien, en association avec l’Envers de Paris et l’Association Cause freudienne Ile de France, sous les auspices de l’UDSM (Union pour la Défense de la Santé Mentale) : CSAPA Meltem et La Corde Raide.
Renseignements sur www.addicta.org

TyA-Bruxelles : rappel

L’inquiétude des familles

samedi 17 janvier 2015 / 09h30 – 13h00
L’entourage familial est souvent impliqué dans la vie quotidienne des patients que nous rencontrons. Il arrive que ces derniers entreprennent une cure de sevrage sous la pression familiale, alors que d’autres trouvent dans la famille même les opportunités de la consommation. Les membres de la famille s’adressent à nous, encourageant ou décourageant la prise en charge.
Quel accueil leur réservons-nous ? Nous intéressons-nous, et comment, aux inquiétudes qui les animent, aux angoisses face aux consommations excessives, à leur découragement face aux échecs répétés. Comment réagissons-nous aux pressions qu’ils exercent ?
Les réponses des équipes peuvent osciller entre une prise en charge systématique ou un refus de toute interférence pour préserver le traitement du seul patient.
Entre les deux, comment accueillir et tempérer ces angoisses et ces inquiétudes en sachant qu’elles touchent pour chacun un point d’insupportable bien singulier.
Commission d’organisation : Jean-Louis Aucremanne, Marie-Françoise De Munck, Jean-Marc Josson, Pierre Malengreau, Nadine Page, Céline Danloy, Etienne Dubois.
Renseignements auprès de Marie-Françoise De Munck (mf.demunck@skynet.be) et Jean-Marc Josson (jmjosson@scarlet.be)

Causer le désir du TyA par Nelson Feldman

L’expérience des addicts, La Cause du désir n° 88

Le dernier numéro de la revue de l’Ecole de la Cause freudienne La Cause du désir sur « L’expérience des addicts » vient de paraître. Elle compte des textes éclairants, actuels et très intéressants. Dans son éditorial, Marie-Hélène Brousse signale que « le signifiant addict est sur toutes les lèvres et flambe dans le discours contemporain ». Ce point avait dominé les échanges des groupes TyA lors de la rencontre à Paris en avril dernier.
Dans ce numéro, le signifiant addict est ainsi décliné dans ses différents usages contemporains : addictions aux drogues, aux jeux vidéo, love addicts, addiction à l’instant ou bien comme style de vie. Hélène Bonnaud, par contre, nous montre bien comment « la toxicomanie à la psychanalyse » ne serait pas comme les autres. La clinique d’orientation lacanienne y est présente à partir de nombreux textes qui abordent cette modalité de jouissance avec une actualité qui nous surprend. L’actualité des addictions sur son versant politique est également explorée dans des entretiens avec un expert addictologue, un ex-usager (président d’ASUD) et un avocat. Marc Valleur contribue à rendre intelligible l’inflation du concept d’addiction à partir d’une position médicale et sociale. Le président d’ASUD, Fabrice Olivet, décrit son parcours personnel qui va de la colère de l’exclusion à la solution par la prise de position politique et l’écrit. Ce numéro s’enrichit en outre d’un entretien inédit de Jacques Lacan en 1974 et de l’intervention de Jacques-Alain Miller lors du Congrès mondial de psychanalyse de l’AMP en avril 2014.
Très reconnaissants pour la place accordée par l’ECF aux addictions, ce numéro est particulièrement intéressant pour tous les collègues actifs au TyA (dont plusieurs y ont écrit des articles) et nous ne pouvons que le recommander à votre lecture attentive.