Eric Colas

« En addicto », une pièce de théâtre de Thomas Quillardet, auteur, metteur en scène et acteur, en tournée nationale, présentée au théâtre La Piscine-Firmin Gémier, à Chatenay-Malabry, le mardi 10 octobre 2023.

À l’issue de la représentation, une rencontre était organisée avec l’artiste. Il avait enlevé son costume et passé ses habits civils. Une brève rencontre entre spectateurs et auteur.

Pourquoi une résidence en addictologie ?, pourquoi ce service là ? Un choix sans intention, le déterminisme du hasard. Il s’attendait à croiser Rimbaud ou Verlaine. Il n’évoque pas Baudelaire.

De son spectacle, il ne souhaite pas expliquer grand chose. Il l’a imaginé comme « un documentaire » : « parler du réel sans copier la réalité ». Il confirme qu’il n’a pas d’intention de prévention, pas de discours qui nous préviendrait des méfaits des toxiques, il ne s’intéresse pas à nos propres consommations d’alcool, il ne nous veut rien à ce sujet. D’ailleurs, il commente qu’après la représentation, beaucoup de spectateurs vont prendre un verre au bar du théâtre.

Il a accepté un budget pour une résidence d’artiste, il a fait son travail d’artiste, rencontrer les êtres humains qui peuplent ce lieu. Il n’a pas cherché la sublimation, ni la transmission de quoi que ce soit du théâtre à ceux qu’il croisait.

Tout de même, il a été marqué par deux occurrences qui ont encadré ces six mois en addictologie : à son arrivée, l’aile hospitalière du service ferme ; à son départ, ce fut l’hôpital de jour où il venait de passer sa résidence, qui a fermé. Il ne restait plus rien de ce service d’addictologie. C’est dit sans explication, sans argument, avec toute la brutalité qui a percuté les personnels et les patients. Pendant toute sa résidence, il promettait de ne pas en faire un spectacle, de ne pas utiliser le matériel des vies qui s’exprimaient devant lui. Il a changé d’avis, il fait entendre ceux qui sont disséminés.

Thomas, c’est le prénom du personnage, raconte, fait vivre des scènes, des dialogues, teintés de l’incompréhension humaine, des malentendus, des ratages. Charge au spectateur d’entrer dans ce jeu pour y ressentir ces vies qui parlent, se meuvent, qui éprouvent.

Thomas raconte les échanges auxquels il a assisté, puis il incarne les participants des groupes de paroles, les discussions, brèves, les remarques, les morceaux de vie qui jaillissent. Les soignants orientent les patients avec leurs question, leurs formules : « prendre la mesure de ce que vous consommez », « je buvais pour ne pas faire la vaisselle », « je buvais quand ma femme n’était pas là, j’attendais qu’elle parte ». Mais c’est une oeuvre de fiction, les citations sont reconstruites, anonymisées, piochées dans d’autres sources artistiques.

Les soignants donnent des conseils, cherchent à stabiliser les consommations, ils parlent du sentiment d’abandon, mais pas comme passion, plutôt comme une disparition, une solitude. Les patients répondent par la honte qu’ils ont bien cherchée et enfin trouvée. Puis, c’est la chaleur qui parcourt le corps, le produit fait son effet. Mais on sent que les soignants sont à la peine de répondre. Les anecdotes des patients nous ont plus marqué que les indications des soignants, qui semblent largués, à la dérive, récitant des poncifs, assez creux, sauf un, quand le personnage Thomas fait part de son addiction aux tartines beurrées avec du chocolat galak. On lui répond qu’il n’y a pas d’addiction au beurre, car personne n’a jamais voulu se foutre en l’air à cause du beurre. Ici, c’est une définition de l’objet drogue comme bord de la vie.

Bien sûr, les drames des patients sont racontés dans leurs tentatives d’expliquer, ainsi que les propos cinglants de l’entourage des patients. Et Thomas, l’artiste en résidence, propose un peu de théâtre et du jeu lors d’ateliers, comme de parler une langue imaginaire.

Mais on retiendra aussi le pathos qui nous vient de cette équipe hospitalière disparue. L’absence prolongée du médecin responsable de l’unité met en difficulté la continuité, l’impossibilité de recruter est renvoyée aux administratifs dont c’est la responsabilité d’embaucher. Puis une infirmière raconte son propre drame et son attachement au lieu. Son mari s’est suicidé sur son lieu de travail dans ses habits de travail, preuve pour elle que ce n’est pas un suicide pour problèmes personnels, au contraire de ce que lui explique un cadre de l’hôpital.

C’est peut-être là que Thomas a décidé d’en faire un spectacle, dans cette conjonction des souffrances respectives pour nous parler de qui n’est plus. Une institution qui ferme, disparaît et éparpille ses patients, dissémine son équipe. La vie qui est passée et n’est plus que souvenirs écrits et donnés à ressentir. La fin d’un lieu qui ne jugeait pas, qui accueillait.

En Addicto

Thomas Quillardet

Théâtre

Radiographie sensible d’un service d’addictologie

Qu’est-ce qu’une addiction ? Comment la soigner ? Au printemps 2022, à l’invitation du Festival d’Automne à Paris, le metteur en scène Thomas Quillardet s’installe dans un service d’addictologie. Il y découvre un monde nouveau, entre groupes de paroles, entretiens avec les médecins et réunions de débriefing des soignants. Il y rencontre le monde d’Olivier, de Marie-Solène ou de Ludivine, des patients engagés dans un parcours pour maîtriser leur addiction…

C’est Thomas Quillardet lui-même qui donnera vie au journal de bord de ces mois partagés, dans l’écrin du Pédiluve qu’il a choisi pour sa création. Avec finesse, il accueillera toutes les paroles des patients et des soignants croisés au cours de cette expérience, pour esquisser un portrait à la fois sensible et vibrant d’un service hospitalier.

Texte et interpretation Thomas Quillardet
Dramaturgie Guillaume Poix
Collaboration artistique Jeanne Candel
Création lumière Milan Denis
Collaborateur.trice.s Titiane Barthel (En Cours)
Direction générale Fanny Spiess
Direction de production / Diffusion Marie Lenoir
Direction de production / Administration Maëlle Grange
Logistique de tournée Marion Duval

Coproductions Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Ville – Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin, La Rose des Vents- Scène nationale Lille Métropole à Villeneuve d’Ascq (en cours)

Soutiens L’Azimut – Antony – Châtenay-Malabry

Antony | Châtenay-Malabry

Théâtre La Piscine | Théâtre Firmin Gémier / Patrick Devedjian | Espace Cirque | Le Pédiluve