Elisabetta Milan-Fournier

1. Mode d’emploi

Ce « mode d’emploi » est tiré du visionnage d’un dvd distribué par un centre de formation suisse ayant ses filiales en France, où il forme des intervenants dans les structures hospitalières ou médico-psycho- sociale spécialisées dans l’accueil du public dit « addict ». Ce résumé se limite à transmettre le discours-courant pratiqué dans ces centres de formation…

Les intervenants en Entretien Motivationnel introduisent leur cours de présentation de l’E. M. en explicitant qu’il s’agit d’abord d’un styleet d’une technique.

Ce style serait marqué par une forme de partenariat entre un intervenant et la « personne addicte », qui est marqué par le respect de son autonomie, l’absence de toute forme de confrontation et visant à faire émerger le potentiel que la personne a à changer !

Pour ces intervenants, l’E. M. est une approche directive centrée sur la personne qui viserait  à aider la personne à explorer et résoudre l’ambivalence qui est considérée comme une donnée habituelle de ce type de patients (ce terme n’est d’ailleurs jamais utilisé dans le dvd ni dans le livre, détail qui montre le lien étroit entre cette méthode et d’autres méthodes américaines, comme l’approche sur la personne de Carl Rogers, qui utilisait le terme de client, ou l’hypnose éricksonnienne, l’Analyse transactionnelle… )

Ces intervenants insistent notamment sur l’efficacitéde leur approche, nous laissant entrevoir le registre pragmatique qui oriente toute leur méthode, clairement inspiré par l’esprit du monde contemporain de l’entreprise…

Cet aspect est renforcé aussi par le fait que la méthode est organisée en stades et étapes.

Tout d’abord il y a les STADES de préparation au changement qui mettent en valeur ce qui est l’Esprit de l’EM

Ces Stades sont :

 1) Stade de Précontemplation : à ce stade le changement n’est pas concevable pour la personne, même dans un avenir assez lointain ;

2) Stade de la Contemplation : stade dans lequel l’ambivalence est la plus élevée : les personnes reconnaissent qu’ils ont quelque problème de consommation mais ne nécessitent de changer dans l’immédiat ;

3) Stade de la Préparation : la personne arrive à percevoir qu’un changement peut avoir lieu dans l’avenir et elle commence à s’y préparer

4) Stade de l’Action : il correspond à la mise en place du changement lui même ;

5) Stade du Maintien 

A la fin de ces 5 Stades se situe le stade de la Rechute, qui clôture le cycle. La rechute est ainsi prévue et normalisée par les créateurs de cette méthode. Elle fait partie du processus, ce qui veut dire que celui-ci consiste à refaire un certain nombre de fois le tour du camembert. Curieusement il y a une sorte de prescription type : par exemple, pour l’arrêt du tabac, il faudrait faire 7 fois le tour du processus…

Une des composantes centrales de l’Entretien Motivationnel est également l’accent porté sur l’ambivalence : la personne dit devoir ou vouloir arrêter la prise d’un produit mais elle n’y arrive pas. L’ambivalence est donc recherchée, débloquée et travaillée par toute une cohorte de principes et de techniques. Bien entendu, nous restons dans le domaine du conscient : aucun travail n’est proposé sur les signifiants amenés en entretien par chaque personne singulièrement, son dire étant constamment resitué dans des cases préalablement définies.

Afin de débloquer l’ambivalence, les intervenants en E. M. s’appuient sur 4 principes fondamentaux :

1)   Faire preuve d’empathie ;

2)   Développer les contradictions ;

3)   Rouler avec la résistance ;

4)   Soutenir le sentiment d’efficacité personnelle.

Les techniques de l’Entretien motivationnel

L’Entretien Motivationnel est une approche qui va permettre d’explorer et inciter à un processus de changement.Le concept de changement est sans doute le concept central de toute la méthode. Ce processus de changement comporte deux phases :

Phase I « Construire la motivation au changement »

La Phase I comporte 4 étapes :

1)      l’Entrée en matière et les piègesà éviter

La première rencontre (Entrée dans la matière, terminologie vaguement pédagogique) nécessite qu’une atmosphère de confiance soit mise en place, grâce à l’adoption d’une attitude « non jugeante et non confrontante » de l’intervenant.

Certains pièges sont illustrés : les questions-réponses, celui de l’expert, de prendre partie, de l’étiquetage,  de la focalisation prématurée, de à qui la faute…

L’entretien démarre toujours en posant le cadre du suivi : l’intervenant définit son rôle, et avec la personne reçue, le but de l’entretien et le temps mis à disposition !!!

L’entretien débute toujours avec une question ouverte

2)     Quatre techniques essentielles OuVER

Il s’agit d’un acronyme 

a)    OU= les Questions ouvertes. « Elles permettent à la personne d’avoir un sentiment d’autonomie : elle peut aller là où elle veut pendant l’entretien. »

b)    V = la Valorisation ;

c)    l’Écoute réflective. C’est l’un des nombreux emprunts que l’E. M. fait à Carl Rogers.

Les théoriciens de l’E. M. contestent ici âprement non seulement un mode d’intervention trop explicatif mais aussi ce qu’ils définissent comme « l’écoute passive » consistant à écouter silencieusement la personne reçue.

Ils décrivent « l’écoute réflective » comme étant un processus actif : les intervenant disent à la personne qu’ils la comprennent, la soutiennent dans son changement ! 

Ils présentent cette technique comme étant une écoute qui fonctionnerait en miroir : l’intervenant renvoie en miroir à la personne ce qu’elle dit dans le but d’approfondir ensemble ce qu’elle vient de dire. Dans ce que l’intervenant renvoie à la personne il peut également y avoir une interprétation.  L’intervenant peut aussi ajouter ce qu’il devine dans ce qui n’est pas dit mais qu’il pense que la personne avait envie de dire…

L’écoute réflective est prononcée sur un ton affirmatif pour ne pas devenir une question fermée.

d)    R =Le résumé

Selon les intervenants en E. M., ces techniques « permettent l’écoute et favorisent la compréhension dans l’entretien et permettent l’exploration de l’ambivalence». Elles sont utilisées dans l’entrée en matière mais aussi tout au long de l’entretien.

3)            Le discourschangement

Il s’agit d’une autre technique directive faisant ressortir du discours de la personne les éléments en faveur du changement (faire reconnaître le discours changement, y répondre et le faire ressortir) en s’appuyant sur l’ambivalence. Cette technique permettrait de la résoudre.

4)            Répondre àla résistance

La résistance, «  c’est ce qu’on appelle communément le déni : le fait qu’une personne refuse la perspective d’un changement. C’est l’autre face de la pièce du changement. »

Elle est présentée comme une lutte et est décrite comme le phénomène d’une interaction, l’effet d’un désaccord entre le stade de préparation au changement de l’intervenant et celui de la personne (les deux sont singulièrement  mis en miroir).

Par exemple : l’intervenant voudrait que le changement ait lieu maintenant et la personne n’est pas prête.

Elle est présentée comme étant  « la pièce qui se rejoue à chaque fois dans le scénario d’une personne »

L’intervenant est sensé la reconnaître comme un phénomène normal et ne pas lutter contre elle. Je remarque néanmoins que dans les exemples proposés, en aucun cas l’intervenant questionne chez lui ce qui a pu entraîner une réaction hostile ou autre chez le patient, puisque les deux sont en miroir, chacun avec sa résistance…

De ce fait la résistance est évoquée à chaque moment où le sujet se pose des questions. Voici un exemple tiré du dvd :

L’intervenant demande : « Quels seraient les effets positifs que vous pourriez envisager dans le changement ?»

Le patient embarrassé lui répond : « Justement, je ne sais pas, je me pose des questions… »

Le mot « résistance » apparaît à l’écran puisque sa réponse est cataloguée comme une résistance !

5)            Augmenter la confiance

L’intervenant peut faire appel à toutes les techniques énumérées précédemment mais aussi tout simplement à la personne d’évaluer lui-même son niveau de confiance, sur le même principe que l’évaluation de la douleur.

      Phase II « Renforcer l’engagement au changement

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 2. De l’hypnose directive à l’entretien motivationnel : la rééducation du patient par la séduction

« Avec l’Entretien Motivationnel, nous ne voulons pas imposer le sevrage au patient. Nous adaptons notre discours afin qu’il change ».

Prononcée par le responsable d’un centre addictologique hospitalier lors d’un colloque auquel j’ai participé, cette phrase, avait attiré mon attention. Elle semblait prôner un changement dans l’orientation des soins par rapport à la pratique de « la confrontation », en vogue jadis dans cette institution. Le « sevrage total » n’y était donc plus imposé comme la condition sine quoi non d’un suivi ?

Certes, il n’y était plus imposé comme auparavant mais ce projet « sevrage obligé» pouvait être poursuivi sous une autre forme, souple et ferme à la fois. Comme dans une majorité de centres de soins, l’EM se présente comme une forme de thérapie plus facilement assimilable par le patient. Pourtant cet accent appuyé sur le changement nous montre que quelque chose reste de l’ancien discours bien que rendu plus acceptable…

C’est cela qui m’a poussée à m’intéresser à l’Entretien Motivationnel afin de saisir les principes et l’esprit qui l’inspirent. Il m’est paru progressivement que cette approche du sevrage est solidement implantée dans le discours du maître et n’est pas si éloignée de toutes ces techniques et méthodes qui se servent de la suggestion (mais sous quelle forme ?) afin de modifier le comportement de la personne à qui elle sont proposées.

Dans le cas de l’Entretien Motivationnel, y avait-il autre chose ? Pourquoi cette méthode s’impose si amplement aujourd’hui, dans le monde anglo-saxon mais également en France ?

Je me suis alors « imposée » la lecture du livre l’Entretien motivationnelde William R. Miller et Stephen Rollnick.

Cependant, un phénomène étrange s’est aussitôt emparé de moi dès le début de ma lecture.

Après quelques pages je commençais à sombrer dans une phase d’endormissement contre laquelle je luttais avec difficulté. Ce fait a fini par me questionner : qu’est ce qui rendait cette lecture « fastidieuse » alors qu’elle semblait découler d’une manière très aisée ?

Tout était prévu… Était-ce les références religieuses multiples ? Était-ce ce discours au ton managérial qui l’empreigne d’un bout à l’autre, faisant du lien thérapeutique le pendant du discours du capitaliste ? N’y avait-il pas autre chose en plus, propre à la structure de ce type de discours, provoquant un effet hypnotique ?

J’essayerai de revenir sur ces questions vers la fin de mon exposé, en m’appuyant sur ce que Jacques Lacan a dit à propos de la suggestion et de l’hypnose au cours de son enseignement.

ACTE 1 : L’hypnose

« Hypnotiser quelqu’un, c’est exercer sur lui un pouvoir, un ascendant qui le « suggestionne ». Mais la force de l’hypnotiseur a besoin de la faiblesse de l’hypnotisé, de sa complicité inconsciente.» Henri EY – préface au livre de Léon CHERTOK, l’hypnose, pbp, 1975.

Léon Chertok, ancien « psychanalyste » avait délaissé aux alentours des années ’60 la pratique analytique pour celle de l’hypnose.

A cette période certaines formes de thérapie américaines, commençaient progressivement à prendre pied en Europe, reprochant à la psychanalyse de ne pas assurer la guérison ou de proposer de suivis trop longs. De cet engouement pour le droit d’accès au bonheur qui se profilait  à l’horizon Lacan en parle amplement dans son séminaire.

Parmi ces thérapies nouvelles, certaines ont été conçues par des personnes s’étant éloignées du courant psychanalytique pour différentes raisons : soit pour s’orienter vers des courants dits  « psychocorporels » (suivant des thérapeutes qui se sont inspirés des livres de REICH, comme Alexander LOWEN, fondateur de l’Institut de bioénergie, le rebirth, le cri primal… ), avec l’idée qu’il fallait passer par une certaine pratique du corps pour en restaurer son image. D’autres formes de psychothérapies tendaient à s’inspirer plutôt de concepts tirés de la psychologie sociale américaine (cf. l’approche orientée sur le sujet de Carl Rogers, l’Analyse transactionnelle… )

Beaucoup des ces pratiques de psychothérapies cherchaient à raccourcir la temporalité des suivis,  en reprenant et en retravaillant des concepts psychanalytiques afin qu’ils épousent parfaitement une certaine philosophie américaine où l’éthique capitaliste se met au service de la réorganisation des relations sociales au sein de l’entreprise tout en maintenant en son sein l’influence du discours religieux  puritain, toujours présent.

C’est à ce moment historique que l’intérêt pour l’hypnose reprend pied.

Bien entendu l’on s’intéresse encore à l’hypnose telle qu’elle a été pratiqué du temps de Charcot et encore avant, à ses début par Mesmer, mais parallèlement d’autres nouvelles pratiques, un peu moins directives voire non directives, commencent à apparaître et à s’affirmer. C’est le cas de la Sophrologie de Caycedo (en Espagne) ou de l’Hypnose Ericksonnienne aux USA.

Retracer tous les courants inspirés par l’hypnose est impossible dans un court exposé : il faudrait en faire une thèse. Il s’agit néanmoins de saisir certains points principaux.

Chertonk nous en présente quelques uns. Il fait apparaître que dès ses débuts une opposition vient séparer le défenseurs de l’idée qu’un « fluide » provoque des phénomènes « magnétiques » dans le corps des patients subissant l’hypnose (MESMER), des tenants d’une théorie basée sur l’influence exercée purement par les mots, ce que nous pouvons ranger du côté de la suggestion verbale.

De même certains, comme les adeptes de l’École de la Salpêtrière, avec Charcot, considéraient l’état hypnotique comme un état pathologique, cause de l’hystérie par exemple, alors qu’à l’École de Nancy, avec Liébeault et Bernheim entre autres, on pensait qu’ils s’agissait d’un phénomène psychologique « normal ».

Freud, qui avait soutenu à ses débuts l’école de la Salpêtrière, s’en était détourné aussi sur le point de l’étiologie de la névrose hystérique, refusant de la considérer comme induite par l’état hypnotique.

Dès les années ’30 un groupe d’auteurs américains d’orientation behaviouriste (Hull, White…) influencés par Bernheim, s’intéressent à l’hypnose  et plus particulièrement à la suggestibilité que Bernheim avait défini comme « l’aptitudeà être influencé par une idée acceptée par le cerveau et à la réaliser ».

Cependant c’est avec White (1941) qu’on utilise pour la première fois le terme « motivationnel » dans ces recherches, le comportement hypnotique étant celui qui est « orienté vers un but… conformément aux indications données par l’expérimentateur et aux idées que s’en fait le sujet ».

La question du changement devient le noyau de la question.

En ce qui concerne l’abord de l’hypnose par la psychanalyse, du temps de Freud mais aussi des post-freudiens, Chertok souligne qu’« à l’origine, les théories psychanalytiques de l’hypnose étaient centrées sur le problème de la gratification des désirs instinctuels du sujet. Dans cette perspective, la situation hypnotique est constituée par un certain mode de transfert. »

C’est par la question du transfert que l’hypnose est donc abordée et étudiée. Certains s’intéressent également par « les états de régression » induits par l’état hypnotique et la relation du patient à l’hypnotiseur : JONES (1923), qui avance que dans l’hypnose il y a une régression au stade auto-érotique, IDA MACALPINE (1950), qui parle de régression à une situation infantile, FISCHER (1953), pour qui les suggestions acceptées ou rejetées renvoient à des phantasmes d’incorporation ou d’expulsion d’un bon ou mauvais objet…

IDA MACALPINE fait également cette remarque intéressante : l’hypnotisation implique le développement immédiat d’une relation transférentielle analogue à celle qui s’établit au cours d’une psychanalyse. Lacan travaillera sur ce point notamment dans le Séminaire 5, Les Formations de l’Inconscient.[1]

L’entretien motivationnel – Aider la personne à engager le changement

« La fonction première du langage, derrière l’obtention d’information, est de fait de motiver, d’influencer le comportement de l’autre. »[2]

C’est par cette phrase que William R. Miller et  Stephen Rollnick introduisent leur présentation de l’entretien motivationnel. La possibilité du langage d’influer sur le comportement de l’être humain peut alors être mise au service de la thérapie, dans l’accompagnement des personnes pour lesquelles il est question d’un changement dans leur existence.

L’idée du changement est posée par ces auteurs comme une valeur acquise mais nous pouvons nous demander pourquoi ce changement serait en lui-même évident. Qu’est ce qu’un sevrage total, par exemple, pourrait altérer dans l’équilibre instables des patients addictes?

Il est simplement souligné qu’il a une demande de changement, parfois  du côté du patient lui-même ou, le plus souvent,  su côté de l’entourage ou des autorités. De toute façon c’est un objectif souvent nébuleux en début de suivi, la personne étant en proie à une certaine « ambivalence » du fait qu’un autre peut vouloir pour lui. Mais ce qui pourrait être « ambivalent » ne peut se limiter au fait qu’un autre veut pour lui, car le sujet ne sait ce que lui même confusément désire, du moins il pourrait être traversé par ce désir de savoir. Bien évidemment cela n’intéresse pas les deux auteurs.

En effet la méthode de Miller et Rollnick vise plutôt à « déceler » cette ambivalence et créer une alliance avec le patient dans le but de la résoudre et de permettre le changement ! Ainsi même si l’on prône l’autonomie de la personne, ils semblent ignorer que du fait que la personne est en position de demandeur, il est pris dans ce circuit de séduction.

Le thérapeute alors maniant savamment son langage amène le patient à « changer» ces comportements qui le mettent en difficulté dans sa vie personnelle et/ou professionnelle. Accompagner ce changement, le soutenir et donc renforcer les motivations qui vont amener à cela est donc l’idée phare de cette méthode qui depuis plus de dix ans a le vent en poupe dans la prise en charge des personnes addictes.

Il est remarquable que Miller & Rollnick mettent en tête de leur livre, consacré au changement, un développement sur les « styles relationnels » réglant la communication des être humains. Selon eux, dans toute communication on peut déceler trois types fondamentaux d’échanges verbaux :

  1. Il y a d’abord le style directif, appartenant aux personnes qui sont imprégnées par le désir de diriger, explorer, « aller de l’avant » ;
  2. Opposé à ce style, il y a celui des personnes qui se positionnent dans la vie comme des suiveurs, qui font confiances aux chefs dans leur capacité d’élaborer pour eux aussi ;
  3. Entre ces deux extrémités il y a le style de ceux qui guident, qui accompagnent.

Les deux auteurs soulignent que l’E. M. « se situe dans cette zone entre diriger et suivre», qui estcelle de la guidance. C’est une position qui relaie, me semble-t-il, quelque chose du pasteur d’âmes.Le professionnel aidant formé à l’E. M. serait alors quelqu’un qui, poussé par « diverses motivations altruistes [3]» parvient à s’éloigner des deux premiers styles pour embrasser le style de guide, de celui qui lui cherche « à aider une autre personnes à effectuer un changement ».

Ce changement peut concerner un nombre varié de comportements humains : l’image de soi, les décisions à prendre dans la vie privée et/ou dans sa profession, la douleur, l’acceptation, le pardon… jusqu’aux  addictions avec ou sans produits…

Le processus de changement, soulignent les deux auteurs, même lorsqu’il est souhaité par le patient lui-même peut se trouver entravé par des attitudes, sentiments, qui dénotent une certaine « ambivalence » face au changement. Les personnes peuvent affirmer qu’ils veulent changer : un empêchement vient bloquer leur route vers le changement de telle sorte qu’il n’a pas lieu. Cette ambivalence serait « le point où on est le plus souvent bloqué, sur la route du changement » :

« Être ambivalent c’est un peu comme avoir à l’intérieur de sa pensée un comité dont les membres sont en désaccord entre eux sur le déroulement souhaitable de l’action. (…) Argumenter pour l’un des versant de l’ambivalence d’une personne la conduit probablement à défendre le versant opposé. Cela conduit parfois à étiqueter cette attitude comme du « déni » ou de la « résistance » ou de « l’opposition » mais de telles réponses n’ont rien de pathologique. C’est la nature normale de l’ambivalence et du débat. »[4]

Ainsi que nous pouvons le remarquer dans ce court extrait, le discours théorique qui traverse cette méthode ne se refuse pas d’emprunter une certaine terminologie « psychanalytique » mais complètement vidée de sa substantifique moelle. Le conflit n’est pas interrogé dans ses racines inconscientes et résistance déni et opposition, vidés de leur signification initiale sont presque interchangeables. Il apparaît aussi qu’aucune référence est faite au transfert : la demande de changement du patient ne peut trouver qu’une réponse directe, au niveau de l’agir.

La méthode de Miller et Rollnick consiste donc en un accompagnement vers le changement qui va déjouer les entraves de l’ambivalence en déjouant les pièges du « réflexe correcteur ». Cela est extrêmement codifié en E.M.

 

Depuis 2006 les deux auteurs ont mis au point cinq questionsqui selon eux devraient permettre un aidant de saisir l’ambivalence dans la demande de changement

« 1) Pour quelles raisons voudriez-vous faire ce changement ?

2) Comment pourriez-vous vous y prendre pour le mener à bien ?

3) Quelles sont les trois meilleures raisons que vous avez pour effectuer ce changement ?

4) A quel point est-ce important pour vous de faire ce changement, et pourquoi ?

5) Et maintenant qu’est ce que vous pensez faire ? »

En E. M. en effet tout est cadré et prévu d’avance : le processus du changement comporte des phases bien spécifiques dans lesquelles le sujet normé trouve la réponse adéquate.

Il s’agit donc de repérer à quel stade du processus de changement se trouve la personne rencontrée afin de l’accompagnement dans un processus qui est préétabli où des stratégies opportunes sont à sa disposition. On est très loin d’une écoute au cas par cas comme  en psychanalyse.

Certes, cela peut rassurer le thérapeute novice, surtout s’il n’a pas pu s’instruire de son expérience personnelle, comme s’est le cas pour un psychanalyste.

Cela l’éloigne notamment de tout questionnement sur la relation transférentielle…

Dans le Séminaire 5, Lacan rappelle avec Freud, que le transfert, c’est une suggestion et il ajoute que contrairement à l’hypnose, en psychanalyse, «nous en faisons tout autre chose, puisque cette suggestion, nous l’interprétons[5]»

En effet le simple fait d’être dans la demande et que cette demande nous l’adressons à un autre à qui nous supposons un savoir, nous confronte aux effets de la suggestion, tout comme l’analyste par ailleurs. Cependant le choix de l’abstention et l’appui sur le champ du désir vont permettre à ces deux lignes, celle du transfert et celle de la suggestion de ne pas se croiser.

Lacan revient à d’autres reprises sur la question de l’hypnose. Ainsi dans le Séminaire 24, L’insu que sait de l’une-bevue s’aile à mourre »à l’autre (séance  du 19 avril 1977) il s’exprime ainsi :

Tout discours a un effet de suggestion. Il est hypnotique. La contamination du discours par le sommeil vaudrait d’être mise en relief, avant d’être mise en valeur
par ce qu’on appelle l’expérience intentionnelle, soit prise comme un commandement imposé aux faits.
Un discours est toujours endormant, sauf quand on ne le comprend pas : alors, il réveille. »

En lisant ces lignes j’ai questionné mon endormissement face à texte de Miller et Rollnick qui se lit aisément certes mais qui propose un discours qui ne dérange pas le Réel.

J’ai alors choisi de lire Lacan, parce que avec lui je me réveille.

[1]Séance du 4 juin 1958.

[2]William R. MILLER, Stephen ROLLNICK, Motivationnal Interviewing, Third Edition : Helping People Change, The Guilford Press, 2013, édition française : L’entretien motivationnel, édition : Dunod, juillet 2017, page 3.

[3]Idem, page 5

[4]Idem, page 9

[5]Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre 5, Les formations de l’Inconscient, Éditions du Seuil, 1998, séance du 4 juin 1958, page 427.