Mauricio Rugeles Schoonewolff
C’est un constat clinique : l’argent aussi pose problème aux patients addicts. Cependant la catégorie d’ « addiction », toujours en extension, accueille une nouvelle recrue : dans un article de janvier 2014, l’ex-trader de Wall Street, Sam Polk, propose une nouvelle addiction : l’addiction à l’argent. Son article publié dans le New York Times s’intitule « For the love of money ».
Polk y raconte son vécu avant et après son travail pour une entreprise de Wall Street. Son témoignage est intéressant parce qu’il raconte aussi ses problèmes avec l’alcool, la cocaïne et le cannabis, ainsi que son rapport à l’autre sexe… Bien qu’il définisse un nouveau type d’addiction, on peut donc constater que celle-ci ne serait pas sans rapport avec les avatars de la castration au principe des addictions aux substances toxiques plus « traditionnelles ». Dans son témoignage, Polk se présente comme un être orienté par le désir de son père d’être milliardaire. Toutefois son addiction aux toxiques fait dans un premier temps barrage à son ambition professionnelle. Après que sa copine l’a quitté, il parvient enfin à se sevrer pour obtenir l’emploi qu’il convoitait.
Mais aussitôt, à Wall Street et dès lors qu’il a commencé à gagner de l’argent selon ses vœux, les limites s’effacent : l’insouciance initiale fait place à une avidité de consommation, toxiques inclus à nouveau. Et bien qu’il gagne même plus d’argent que ce qu’il a pu rêver, sa jalousie du revenu des autres grandit et il aspire à toujours plus. Il repère que l’argent prend la fonction qu’avaient auparavant les substances toxiques, celle de lui permettre de ne pas se confronter à quelque chose de l’ordre des limites, soit ce qu’en psychanalyse on nomme : la castration symbolique. Les personnes qui travaillent à Wall Street, assujettis à l’argent comme lui, se comportent, explique-t-il, comme des toxicomanes, des addicts graves, qui cherchent toujours leur dose sans fin. Dans ce sens, les limites s’effacent aussi : toujours plus… Il parvient néanmoins à s’arrêter une deuxième fois lorsqu’il perçoit chez l’Autre ce qui se passe en lui : bien que ses bosses aient des milliards, ils veulent toujours plus, ont peur de perdre ce qu’ils ont et sont capables de faire n’importe quoi pour obtenir ce « toujours plus ». Il quitte Wall Street et s’essaie à d’autres activités certes profitables mais néanmoins insatisfaisantes : on ne guérit jamais de la jouissance et en effet, il décèle en lui encore quelque envie de regoûter à ses anciennes drogues…
Ce que montre ce cas se retrouve assez couramment chez les sujets toxicomanes : un dérèglement de leur jouissance quant à l’argent : l’abstinence aux produits est souvent suivie d’une difficulté à faire avec l’argent. Risquons l’hypothèse que, comme l’argent touche une des parties les plus intimes du sujet, il n’y a pas une façon « normale » d’être et de faire avec l’argent : tout comme avec les substances toxiques, on ne rencontre que des variétés de souffrance autour de l’argent. Par ailleurs, le sujet est notablement déterminé par le discours ambiant, en l’occurrence ce que Lacan a nommé « le Discours du capitaliste » : le prolétaire est le symptôme social, comme l’exprime Lacan dans la conférence « La troisième »[i] : c’est-à-dire que chacun est pris dans la machine productive, car c’est le travail du sujet qui est la source de l’argent – pas de sujet et de langage, pas d’argent ! Donc, nous pouvons poser la question : est-ce légitime de parler d’addiction à l’argent ? Et quant aux rapports de l’argent et du toxique : bien qu’ayant un mécanisme assez similaire (la jouissance produite par la récupération du plus-de-jouir par le sujet et la forclusion de la castration produite par le discours du capitaliste[ii]), sont-ce les mêmes objets ? Qu’est-ce que l’argent et quel est son rôle pour le sujet ? Que peut dire la psychanalyse de l’argent ? C’est ce que vous saurez en suivant nos travaux en vue de notre Conversation du 5 mai prochain. Restez connectés !
[i]Jacques Lacan, « La Troisième », in La Cause freudienne, N° 79, Navarin éditeur, Paris, 2011, p. 18. Cela est une conférence que Lacan a donné à Rome en 1974.
[ii]Jacques Lacan, Je parle aux murs, Éditions du Seuil, Paris, 2011, pp.65-66.
Question : Sam semble avoir été mu par l’idéal de son père. Comment se fait-il, dès lors, que cet idéal, non seulement n’ait pu permettre à son fils de se stabiliser dans l’existence, mais également que l’on puisse s’interroger sur sa responsabilité dans le dérèglement profond de Sam ? Sam explique : “My dad really believed that money was the answer to all his problems” : le père était persuadé que l’argent était la solution à tous les problèmes. La solution en effet ! Au sens chimique de dissolution même : de toutes les valeurs. S’agit-il alors d’une sorte d’idéal postiche ?
Remarque amusante : Il a épousé Kirsten, médecin psychiatre avec laquelle il a lancé son nouveau business dans lequel tente d’éduquer la pulsion orale…
Comment peut-on entendre « problème avec l’argent » ? Il me semble que dans la question, nous pouvons déjà poser l’hypothèse d’une logique du plus et du moins. J’entends par là une logique distributive du phallus. En avoir ou pas de l’argent, en manquer, avoir des dettes, ne jamais manquer… Le riche est angoissé par le manque du manque (cf. : JAM), la dette constitue la jouissance de creuser un trou dans l’Autre (cf. : JAM).
Nous savons déjà que la drogue ne rendre pas dans une logique de jouissance phallique, mais quand est-il de l’argent ? L’objet argent est-il inscrit comme objet anal pour Sam ? Que fait-il de l’argent gagné ? A-t-il des dettes ?
S’agit-il de la problématique du manque pour Sam ? Je ne lis pas assez bien l’anglais pour répondre à ma question cependant à la lecture du texte de Mauricio, voici l’hypothèse que je vous propose :
Peut-on dire que les toxiques et l’argent forment une métonymie infinie pour Sam ? De ce point de vu l’argent et la drogue seraient équivalents, il n’y aurait aucun déplacement. : Alcool, cocaïne, Cannabis, argent, sexe… Une jouissance infinie qui ne serait donc pas bornée par la logique de la castration.