Coralie Haslé
Nous nous sommes réunis le 19 décembre dernier, cette fois autour du thème « Au travail ! ». Jean-François Perdrieau nous présentait son compte-rendu de la deuxième journée de prévention des conduites addictives en milieux professionnels de la MILDECA (Mission Interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), et Stéphanie Lavigne nous a parlé d’un patient orienté par la médecine du travail pour des consommations de produits.
Aurélie Charpentier-Libert a d’abord présenté le texte de Jean-François Perdrieau, qui suscite immédiatement la conversation. Pourquoi la prévention des conduites addictives en milieu professionnel est-elle devenue une « priorité », comme le dit la ministre de la fonction publique A. Girardin ? Sûrement à cause de la récente modification de la loi qui induit que la responsabilité de l’employeur est engagée en cas de consommation d’un salarié sur son lieu de travail, indique Jean-François Perdrieau. Les participants notent en effet la recrudescence des demandes d’interventions de prévention ou de formations faites par des entreprises auprès des CSAPA. Il y a un débat parmi les participants quant à la réponse à donner à ces demandes. Ceux qui en font déjà estiment qu’on peut le faire à condition parfois de redéfinir le contenu pour pouvoir porter notre discours. Si on refuse d’y aller, d’autres le feront, et ce sera encore des coachs, des préventeurs, des rééducateurs.
Dans le même temps, il faut rappeler la réforme de la médecine du travail, datant de l’année dernière, qui oriente cette pratique beaucoup moins du côté de la « protection du salarié », et plus du côté d’un rôle informatif, laissant le salarié décider si il reste ou non au travail.
Ce qui est remarquable, c’est que dans tous les discours exposés lors de cette journée de travail, pas de notion de jouissance, ni de pulsion. Le mot d’ordre transversal est « bienveillance et vigilance ». Si l’ergothérapeute évoque que les consommations servent aussi à travailler et qu’il faut faire avec, tous les autres veulent plutôt les éradiquer : par un dépistage systématique, par l’installation de « contrat de confiance » avec les salariés repérés, par des thérapies éducatives pour apprendre à gérer les émotions et la « valeur de vie ». Nous ajoutons : la vie a de la valeur, celle de produire ! Coralie Haslé remarque que les organisateurs de cette journée ne savent même pas quelle question ils posent : « addiction au travail » est au départ entendu du côté du travail comme lieu (les consommations sur le lieu de travail), mais un glissement s’opère tout au long de la journée du côté du travail comme objet d’addiction. Stéphanie Lavigne souligne que l’on passe de la société addictogène au travail addictogène. Il faut donc d’après eux, là encore, éduquer les salariés : droit à la/devoir de déconnection, TCC pour apprendre à faire la distinction entre vie privée et vie professionnelle, prévention du burn-out… Face à ces discours qui font bloc, rien ne peut faire trou. Alors qu’il s’agit de parler de salariés usagers de drogues, ne sont invités à cette journée ni cliniciens, ni représentants des usagers de drogues.
Pierre Sidon estime que tout ceci s’inscrit parfaitement dans les orientations politiques des dernières années, avec des gouvernements successifs qui ne s’occupent plus de l’industrie ni de l’économie, seulement un peu des relations extérieures et surtout énormément de l’hygiène.
Nous terminons cette première partie en nous demandant s’il faudrait participer à ces journées, si nous y étions invités. Nous sommes très hésitants, car cela nous ferait cautionner cette position « vigilance et bienveillance »/« contrat de confiance » à partir desquels on licencie tout de même les gens. Mais si nous avions l’opportunité de dire quelque chose dans ce cadre, il s’agirait pour nous de nous éloigner de leur discours centré sur l’objet-drogue comme étant au centre de l’addiction, et de parler plutôt de la place du travail dans la vie des sujets, de la vie dans le travail, et de l’équilibre de toute cela… grâce aux addictions.
Mathilde Braun nous a ensuite présenté le texte de Stéphanie Lavigne. Il s’agit d’un patient qui vient consulter sur la demande de la médecine du travail, après une mise à pied pour des consommations de produits. Le patient se sèvre rapidement mais continue à venir en consultation et se saisit de la proposition de parole de la psychologue. Il va alors pouvoir déployer son rapport au monde. En ressort notamment une nomination venue de l’enfance qui l’amène à se faire exclure. Le rapport aux autres est teinté d’une légère persécution, d’un sentiment d’injustice, d’une demande de respect et d’une idée précise des places de chacun. Nous avons alors essayé de discuter la question de la psychose ordinaire chez ce patient qui n’est pas sans ordre symbolique, qui a un accès au lien social et qui présenterait ce qui a été appelé une « paranoia ordinaire », de l’ordre de celle du « café de commerce ». D’autres participants pensaient que certains éléments pouvaient être de l’ordre de l’hallucination et que la tendance à la déchétisation était trop importante pour être du côté de la psychose ordinaire.