Pierre Sidon
Il y a eu le temps des menaces et il a fallu répondre : empêcher le pire. Puis est venu le temps pour comprendre. Car la temporalité de l’Acte véritable, orienté par le réel, n’est pas la temporalité de celui qui atermoie sans fin dans la délibération, pensant pouvoir calculer au plus juste son action par la pensée, comme nous l’a enseigné Jacques-Alain Miller dans son cours : l’Orientation lacanienne. Car celui qui pense pour agir restera spectateur bardé de ses bonnes intentions. Il est promis au remords. Au contraire, celui qui a agi est transformé irrémédiablement par son acte. Et c’est de ce point de perspective nouveau qu’il peut regarder le monde qu’il a transformé, avec lui.
Lorsque l’École-sujet, l’ECF, s’est engagée dans la lutte contre la dédiabolisation de Marine Le Pen aux côtés de Jacques-Alain Miller, elle n’a pas pensé à ce qu’elle était devenue. Certains se sont interrogés : est-ce bien aux psychanalystes de faire de la politique ? La pureté de l’Acte analytique ne s’en verrait-elle pas à jamais entachée de cette excursion transgressive en-dehors du cadre ? C’était ignorer que les conditions d’exercice de la psychanalyse ne sauraient être indépendantes des conditions politiques, toutes particulières, de l’émergence de sujets libres de leur dire. C’était ignorer surtout que, de la politique, la psychanalyse en a toujours fait : car si le sujet du collectif est celui de l’individuel, l’Acte analytique ne saurait craindre de regarder en face ses conséquences politiques dernières, soit l’épanouissement du parlêtre dans toutes les dimensions consécutives à la dissolution des idéaux à papa : « – Nous n’en pouvons plus du père ! », clamait Jacques-Alain Miller dans le magazine Le Point. Mais après ?
Le temps est-il advenu, pour tous, de raser gratis ? Loin de là. Bien au contraire… Ou pire… encore ! Car une fois libérés quelle boussole orientera les individus et les sociétés remises en cause jusqu’au plus intime du lien social qui les constituait ? Nous sommes entrés dans l’ère des menaces : menace de l’universalisation, celle que la science, dissolutrice de la singularité humaine, apporte dans la hotte du Père Noël ; menace aussi des nouveaux mots d’ordre qui surgissent en réaction à l’emprise des objets plus-de-jouir et tentent de recréer des ségrégations. De l’alliance de ces Un et de ces substituts de a, éclosent ici et là telles des resucées de nazisme new look. Et de l’accélération de la vie découle le carambolage du Un qui s’agrège et s’holophrase dans le grand fracas de l’ordre symbolique : c’est la débilité et la folie qui menacent de prendre le manche partout et d’appuyer sur le champignon. Peut-être le parlêtre sera-t-il, à terme nettoyé – « et on aura bien rigolé » -, comme en faisait l’hypothèse Jacques-Alain Miller en juin dernier. Et en attendant ? Que faire ?
Que faire d’autre que de continuer à… rigoler ? Soit ! Rigoler c’est-à-dire : travailler, interpréter puisque c’est la joie qui définit notre travail comme l’évoque Lacan. Respirer en somme ! Ce début décembre a été doublement endeuillé : Serge Cottet puis Judith Miller nous ont quittés. Chacun dans leur style et dans leurs fonctions, deux piliers, deux fondateurs, travailleurs acharnés, défricheurs, enseignants ont contribué à façonner et à étendre sans relâche ce Champ freudien qu’en juin dernier jacques-Alain Miller appelait à se refonder en sa version 2.0, à s’élever dans un « Réalisme supérieur » (Christiane Alberti, Nos moyens propres, Lacan Quotidien, n° 751, 2 décembre 2017). Et c’est la Movida Zadig. La voilà notre destinée, celle que nous nous choisissons ! « Zadig est […] l’extension d’un même espace, celui de l’expérience analytique, celui de l’expérience de l’École comme sujet et de ses conséquences politiques élevées au niveau du « groupe social », à « la masse » en termes freudiens » explique Miquel Bassols (« Champ freudien, Année zéro » dans l’ELP , Lacan Quotidien, n° 751, 2 décembre 2017.
Dans ce contexte, le groupe du TyA-Envers de Paris, membre du réseau international du TyA qui est un groupe du Champ freudien, entend contribuer à apporter sa pierre. Nous participerons en avril prochain au deuxième colloque international du TyA à Barcelone : Le TyA-Envers de Paris est Zadig !