Mathilde Braun & Pierre Sidon
Cette première conversation de la saison 5 du TyA Grand Paris s’est ouverte sur les deux thèmes qui nous accompagneront tout au long de l’année : l’éducatif, en écho à la thématique des 47èmes journées de l’ECF qui se sont tenues en novembre, et la psychose ordinaire, en écho au Congrès de l’AMP qui se tiendra en avril 2018 à Barcelone.
Concernant ces deux thèmes, Pierre Sidon nous a rappelé, d’une part, que dans les institutions, la question de l’éducatif prévalait : la place donnée à la prévention, la santé, la parentalité laisse penser qu’il suffirait d’acquérir un savoir universel et universitaire pour éviter la pulsion de mort qui est à l’œuvre dans les services d’addictologie. D’autre part, essayer de dégager une phénoménologie de la psychose blanche en addictologie intéresse particulièrement les cliniciens qui travaillent dans le champ de l’addictologie.
Deux collègues étrangers, du Japon avec Yasushi Nishigori et d’Argentine avec Tomas Verger, sont venus présenter chacun un cas clinique llustrant la supériorité de l’approche individuelle sur celles basées sur l’éducatif ou l’identification groupale.
Elisabetta Milan Fournier présente le cas de Yasushi Nishigori, psychiatre à Okinawa au Japon.
Le patient dont il est question a grandi sur l’île Miyako, souvent appelé « l’île du buveur » car les habitant y boivent beaucoup d’alcool, traditionnellement une boisson alcoolisée locale très forte appelée l’Awamori. Sa consommation se fait lors d’un rituel dénommé l’Otôri, où les hommes rivalisent pour savoir lequel fera le meilleur discours sans s’enivrer, tout en ingérant des doses importantes d’alcool.
YN précise que Okinawa est une région féminine, dans la mesure où il n’y a pas de monuments phalliques, les tombes sont en forme de vulve, le chamanisme y est féminin. Mais l’Otôri, en tant que rituel, ne se situe-t-il pas du côté masculin ? Il y aurait ainsi une ségrégation homme-femme.
Le patient présenté par Yasushi Nishigori a été amené aux urgences psychiatriques par des policiers, suite à un état délirant de persécution où il frappe sa femme à coups de batte de baseball pensant repousser un voleur.
Il est alcoolique depuis une quinzaine d’année, sans emploi suite à un accident de travail. Après son hospitalisation et les entretiens qui ont duré environ un an, le délire de persécution a disparu, il retourne travailler aux champs et ce patient ne consommera plus d’alcool.
Lors des entretiens, le patient refusait de parler de son alcoolisme, jusqu’au jour où il peut aborder la question de l’Otôri lorsqu’il se met à parler de sa difficulté dans son couple, en apportant le signifiant « la dépression », comme une maladie incurable.
Mais lorsqu’il parle de l’Otôri, c’est un court-circuit, un moyen de ne pas parler de ce dont il devrait parler, nous dit YN.
L’Otôri, ça habille la pulsion, ça autorise le sujet, intervient Richard Bonneau.
L’Otôri fait fonction de lien social pour le patient, il est nostalgique du temps où il pratiquait l’Otôri, où il tenait l’alcool. C’est un rituel pris dans l’autre qui vient régler la pulsion. Ce rituel n’a pas tenu, il est devenu alcoolique en buvant seul.
Quand le patient parle de l’Otôri, il fait appel au père symbolique, à une figure du père mythique et cela lui permet de commencer à évoquer une position de sujet, à effectuer un changement de position. C’est un discours qui fonctionne comme le père imaginaire à la place du NdP, là où le père est en place de Moi idéal et non d’Idéal du moi,
D’autre part, lorsque le patient apporte le terme psychiatrique de « dépression », il y a une fonction de nomination, et c’est un premier pas vers la guérison, nous dit YN, tout en disant que le japonais serait inanalysable car il n’y a pas de notion de vérité au sens véritable. Il n’y a pas de dialectique et l’axe imaginaire est très fort dans la communication japonaise.
Olivier Talayrach souligne l’effet de cure qui s’est produit pour ce patient, et Pierre Sidon conclut en soulignant que le patient a touché un point d’authenticité avec un effet : il retourne travailler et arrête de boire. Avec l’Otôri, il s’éloigne de la mère, sa femme, la féminisation de l’invalidité. On se demande que demander de plus ! C’est une cure… Par la vérité !
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Stéphanie Lavigne présente le cas de Tomas Verger, psychologue et coordinateur général dans un centre de jour à Rosario, Argentine.
Il s’agit d’une institution privée, reconnue d’utilité publique, avec des subventions. C’est une coopérative de travail avec une double perspective : travail et traitement, travail comme traitement, dans une pratique à plusieurs orientée par la lutte contre la pulsion de mort.
Cette institution travaille à-partir de l’enseignement de l’Antenne 110 : être doux, accueillir, lutter contre la pulsion de mort. Elle se sert de la négociation, telle que JAM l’a introduite, de manière à rendre, dans la psychose, le traitement plus démocratique.
La patiente, qui erre depuis l’enfance et s’alcoolise depuis qu’elle a douze ans pour fuir et supporter les cris de sa mère maltraitée par le père, rencontre l’institution grâce à un centre d’aide pour SDF, après des périodes de prostitution.
Une question qui a orienté l’institution dans le travail avec la patiente est : de quoi le sujet veut-il se séparer ? Le traitement de l’Autre : le père qui venait la voir, la séparation de la position d’objet déchet.
L’alcool était-il une façon de s’extraire de l’Autre ? L’alcool voilait la voix du père, il traitait l’objet voix du père. La voix, le cri sont sans dialectique pour la patiente, il y a absence de signification phallique. Donc comment faire pour se séparer de ça sans l’alcool ?
La patiente a pu effectuer des « actes de passage » en place de passages à l’acte. TV cite Ansermet à la NLS à-propos des actes de passages qui offrent au sujet à se loger d’une autre manière, à ne pas mettre en fonction la position de déchet, de détresse. Dans le passage à l’acte, le sujet disparait et tombe comme objet, là c’est le mouvement inverse, de l’objet vers le sujet, avec un effet sujet, et la production d’un objet qu’elle donne, un objet qui ne soit pas un déchet, mais à la place d’elle comme objet. Le sujet en place de déchet est restauré à sa place de sujet, il est séparé de son kakon. Il s’agit de mettre à distance la position d’objet.
Ces actes de passage ont été, par exemple, de contacter le centre de détresse, s’inscrire dans la coopérative, avoir un logement fixe…
Comment faire lien au sujet pour s’inscrire dans l’Autre différemment ?
La question de l’accompagnement est importante puisque le centre est une institution de réinsertion sociale par le travail. Les professionnels sont-ils un Autre qui sait ? Un Autre non barré ?
C’est parce que l’institution, par la réinsertion par le travail, pose un Autre tyrannique, un surmoi social, que les professionnels, eux, peuvent être des petits autres barrés.
L’Autre tyrannique de l’éducatif est déjà là : « réinsertion sociale par le travail ». Quand la patiente entre dans l’institution, le signifiant est là, le Discours Maitre c’est : il doit y avoir des ateliers. Les professionnels ne courent pas derrière les patients pour les faire venir. Il peut y avoir un « venez » à entendre comme un « je suis là », avec une adaptation du cadre à chaque structure. Alors les professionnels font trou dans l’offre éducative.
Antonio Di Ciaccia dit quelque part, dans la Revue Quarto, que le travail dans l’institution est entre Discours du Maître (DM) et Discours de l’Hystérique (DH) : DM pour encadrer le sujet déboussolé et DH pour encadrer l’exception.
En ce qui concerne la patiente et l’inscription dans les ateliers, elle a rejeté la cuisine, elle a essayé la guitare qu’elle a rejeté au bout d’un mois, puis dans le même temps elle s’est rapprochée de la revue où l’on lui a proposé d’écrire : elle a laissé tomber et s’est décidée à dessiner. On l’a accompagnée. Aujourd’hui, les dessins qu’elle réalise pour la revue, elle les envoie à sa famille. Elle détache un morceau d’elle à donner plutôt que se donner elle-même. La production permet de donner quelque chose à l’autre sans se donner elle-même toute entière.
Un point sur les Alcooliques Anonymes que la patiente a fréquenté peu de temps et qu’elle a rejeté en disant qu’on y parlait que d’alcool : comment comprendre son rejet des AA ? N’est ce pas une manière de dire que les AA lui demandent de continuer à parler du produit alors qu’elle ne consomme plus ? La patiente ne veut plus être un déchet, et c’est être déchet que de continuer à parler du déchet.