Mauricio Rugeles
Le sujet principal de la conversation, suivant le thème général des conversations de cette année et des journées de l’ECF de 2017, concerne le rôle que l’éducatif peut jouer dans la société contemporaine, et spécifiquement dans les prises en charge institutionnelles des sujets qui ont des problèmes avec la consommation de produits toxiques.
La conversation ce soir s’est déroulé en deux temps : d’abord, nous avons discuté le cas d’une prise en charge dans une institution dans l’Île-de-France, et par la suite, nous avons utilisé des éléments cliniques et théoriques du cas pour discuter le texte de Pierre Sidon, « Le triomphe de l’éducation ».
La question de l’éducatif se pose depuis très tôt dans le vécu du sujet : sa mère et sa sœur l’éduquaient à coups de ceinture. Son père, par contre, se taisait, absent et plongé dans l’alcool. Après un événement traumatique d’abus sexuel, il ne peut plus être à la hauteur de l’idéal de la mère, ce qui le met en échec et il se retourne vers un produit toxique. Sur ce cas, le il y a eu deux questions importantes : sur le plan corporel, il y a un détachement pendant que sa mère le frappait, ce qui nous évoquait le commentaire que Lacan a fait sur la raclée que Joyce a subie, cas qui est commenté dans son Séminaire XXIII. L’événement traumatique a déclenché des sentiments de honte qui l’auraient accompagné toute sa vie. La fonction de la honte chez ce sujet nous a fait référence au texte de Jacques-Alain Miller, « Note sur la honte » : la honte serait du côté de la jouissance, tandis que la culpabilité (qui n’est pas mise en avant par ce sujet) serait du côté du désir. La sexualité et l’identité sexuelle de ce sujet restent très problématiques, surtout après son événement traumatique et les actes sexuels qu’il pratique sont faits exclusivement sous l’influence du produit. Cela poserait la question du toxique et de la jouissance : il jouit du produit avec quelqu’un, pas du corps de l’autre.
Quant à la partie théorique, nous avons discuté des vieux manuels de prévention de la toxicomanie, où figurait la devise « Savoir plus pour consommer moins ». Parler du savoir est plus intéressant que de rester au niveau de l’apprentissage, car le rapport au savoir du sujet peut se subvertir, ce dont témoigne la clinique psychanalytique. Le discours contemporain étant le discours capitaliste, nous nous posons la question de la jouissance : est-ce que le sujet est en lien avec la jouissance ou avec le plus-de-jouir ? Les drogues, faisant partie de ces objets « lathouse », comme les nomme Lacan, qui comblent le manque du sujet, ne serviraient pas à jouir mais à ne pas jouir, elles seraient du plus-de-jouir, car elles coupent avec le lien avec l’Autre symbolique, et c’est le symbolique qui serait la cause de la jouissance. Dans ce point, le discours du capitaliste se montre différent du discours du maître : c’est le sujet capitaliste qui croit qu’il peut saisir et utiliser l’objet-produit, tandis que le maître était coupé de la production.
Nous serions aujourd’hui dans la « discipline » de l’Éductologie, avance Pierre Sidon : saturés par l’éducatif. Elle prospère avec la démise de la psychiatrie dont elle prendrait le relais. L’addictologie pourrait-elle être une discipline alors qu’elle n’a pas un corpus de savoir articulé, comme la psychiatrie ou la psychologie. L’addictologie serait un savoir prêt-à-porter, basé essentiellement sur une comptabilité. Les origines de ce savoir se trouveraient dans l’idée de l’erreur alimentaire. Cependant, avec la démise de la psychiatrie, le milieu médico-social serait l’envers topologique de la psychiatrie : si la psychiatrie serait une thérapie basée sur la contrainte – le patient doit y rester -, dans le médico-social, l’intervention thérapeutique serait basée sur la liberté du patient de rester dans l’institution, et la contrainte que peut appliquer l’institution est de de le faire partir.
Nous avons aussi discuté sur la prévention : quel effet pourrait-elle réellement avoir ? Ce que la prévention voudrait serait d’éduquer (prévenir) pour ne pas soigner. Cette approche se base sur le fait que la société ne veut pas voir le problème de la jouissance : soit du réel. L’approche éducative de la psychose serait une question de savoir : « Ils ne savent pas, alors il faut leur apprendre », comme si la psychose se « guérissait » avec l’introduction d’un savoir général. Mais cette position cache une autre jouissance : la jouissance de punir le sujet. C’est aussi une position subjective que de jouir de la consommation d’un autre sujet. Cependant, les éducateurs peuvent avoir des effets très favorables pour le patient et les institutions, surtout s’ils sont guidés par leur désir : un désir de vie pour le patient. Ce n’est pas avec la pédagogie que les sujets reprennent le goût de vivre, mais bien avec le désir incarné d’un ou plusieurs autres.