Pierre Sidon
Chers amis, participants, sympathisants, lecteurs,
Le Vecteur Addictions du réseau TyA et de l’Envers de Paris se joint au mouvement de mobilisation lancé il y a quinze jours par Christiane Alberti et Jacques-Alain Miller contre Marine Le Pen et le parti de la haine.
La psychanalyse est politique. Son exercice non seulement nécessite des conditions de liberté minimales mais il conduit chaque sujet, individuellement, à savoir exercer sa liberté en toute responsabilité. La psychanalyse est aussi politique car elle considère que chaque sujet – qu’il assume son inconscient, ou plus encore s’il l’attribue à l’Autre -, est, par essence, social. Ainsi les pathologies du sujet – si l’on peut s’exprimer ainsi – sont-elles aussi, de façon indissociable, visible ou moins visible, des pathologies du lien social. Lacan n’aura ainsi de cesse, dans tout son enseignement, d’affirmer que le collectif n’est rien d’autre que le sujet de l’individuel. Jacques-Alain Miller en précisait la portée en 2000 : « les fonctions au niveau du collectif sont les mêmes que celles qui se déploient dans la vie d’un sujet : moi, idéal du moi, identification… »
Pourtant, la psychanalyse, en temps ordinaire, n’intervient bien qu’au niveau individuel. Or depuis le début du XXIè siècle, le politique s’est intéressé de près à la psychanalyse – et à la psychothérapie en général. En particulier par des tentatives de régulation, au mieux maladroites, voulant en tout cas ignorer les réalités singulières de la discipline et désireuses d’une normalisation destructrice. Mais si le politique s’occupe de la psychanalyse – avec toute la signification menaçante du terme -, c’est aussi parce que la jouissance, dit Jacques-Alain Miller, est devenue, comme le bonheur, affaire de politique. Alors la psychanalyse s’est trouvée embrigadée, qu’elle le veuille ou pas, dans la politique.
Il a d’abord fallu faire savoir, publiquement, les nécessités de la discipline et son utilité publique, utilité grandissante, largement reconnue – d’où qu’on s’occupe d’elle -, en cette époque où la technique chaque jour un peu plus sert le dégoût de l’humain. Dans ce cheminement de concert, la psychanalyse est désormais plus que jamais indissociable de la politique et elle prend sa part dans la conversation publique comme en témoigne l’engagement répété de notre École dans les débats de société qui l’agitent – bouleversements du vivant et de l’ordre symbolique – convulsions d’une civilisation nouvelle. Le malaise décrit par Freud s’est, selon Lacan, déployé en impasses. L’avancée de la science et du capitalisme qu’elle permet a rendu la psychanalyse possible et à la fois nécessaire : le poison est venu avec l’antidote et comme le dit le poète, là où croit le péril, croît aussi ce qui sauve.
L’urgence politique qui nous mobilise aujourd’hui prend encore une fois la forme d’une aspiration à un retour, retour à une tradition, à sa forme du moins : un mouvement réactionnaire. Contre l’universalisation des Lumières et de la Révolution de 89, c’est une aspiration à un enracinement rassurant qui fait retour : dans une terre qui ne « mentirait » pas – droit du sang contre droits de l’homme -, et dans le réel du corps contre l’appartenance symbolique : racisme.
Lacan avait prévu cette montée du racisme corrélatif du discours de la science. Et il évoquait la montée d’une nouvelle ségrégation « ramifiée ». Il n’espérait nullement la disparition de toute ségrégation – bien au contraire – et il raillait le dégoût qu’on en exprimait alors, affirmant qu’elle était même la source de la fraternité. Mais il évoquait que les modalités de la ségrégation classique déterminées par la forme « Empire » laisseraient place à une pluralisation déterminant ces nouveaux visages de la ségrégation. Nous y sommes. Et la guerre aussi subit ces métamorphoses corrélatives des remaniements de la ségrégation des groupes ethniques, religieux ou nationaux…
C’est dans ce contexte d’égarement qu’est survenu l’effondrement, en apparence conjoncturelle – mais il n’en n’est rien – des partis de gouvernement et qu’a surgi la figure politique réactionnaire haineuse, raciste du parti de Marine Le Pen qui était en embuscade. Dans le champ de ruine de l’ancien ordre, subitement révélé, elle peut gagner. Pourquoi serait-ce une catastrophe ? Comment l’empêcher ? C’est là qu’interviennent les désormais indispensables discipline, théorie et éthique analytiques. C’est ce dont nous débattrons mercredi. Venez nombreux afin, ensemble, de déconcerter le pire.
Très bien déconcerter le pire …!