José Altamirano
Dans la discussion du cas de Mathilde Braun, présenté par Aurélie Charpentier-Libert, on a pu saisir le conflit que pose le besoin de la reconnaissance de l’autre (sur le plan narcissique), et même le besoin de se soumettre à la volonté de l’autre, à l’égard de la reconnaissance du désir du sujet. Dans ce cas on trouve ce conflit dans plusieurs moments de l’histoire du patient : il a été le nounou de sa mère, celui qui a suivi la carrière qu’elle voulait pour lui, celui qui a abandonné son travail comme professeur pour se dédier au théâtre à cause de la satisfaction narcissique procurée par cette activité (il a été « émerveillé par lui-même »), celui qui a limité ses liens d’amitié de l’enfance à cause de la demande de sa bonne à demeure… Il est aussi celui qui reste aux côtés d’un compagnon qu’il ne désire pas (l’affirmation « je l’aime profondément » a été interprétée par Pierre Sidon comme une forme de dénégation et non pas comme la manifestation d’une bipartition entre amour et désir), celui qui se défonce pour pouvoir supporter d’être un objet déchet, une épave soumise à la volonté des hommes qu’il retrouve sur un site de rencontre où il se présente comme « passif », etc. C’est précisément à-partir d’un questionnement par rapport à sa relation avec son compagnon (« Qu’est-ce qu’il me veut ? ») qu’il a demandé une analyse.
Il semble s’agir donc d’un patient qui aurait du mal à se décoller de sa dépendance de l’autre. En effet, quand sa bonne à demeure est partie, il a ressenti profondément un sentiment de solitude problématique. Par ailleurs, c’est quand il se trouve seul chez lui (ou quand l’autre est parti) qu’il s’effondre et va répondre à cet effondrement en consommant des drogues et en attendant que les hommes du site de rencontres sexuelles lui fassent signe. Quand il est dans un travail créatif avec des autres, il n’a pas besoin de satisfaire cette compulsion. Le sujet semble donc être divisé par sa jouissance : il se plaint d’être le déchet de l’autre et au même temps il cherche à le devenir. Par ailleurs, ce patient indique que son fantasme (fantasme qui a un rapport à une fantaisie de son adolescence où il se faisait violer par ses camarades) rate toujours : il n’arrive pas à consentir à être pris comme une femme par un homme.
Cela pose, comme Pierre Sidon l’a signalé, une question provoquante : s’agit-il du désir insatisfait de l’hystérique ? Par ailleurs, c’est vrai qu’on rencontre rivalité et reproche à l’égard de la mère, et amour à l’égard de son père. Cependant, d’un autre côté, le père de cet homme, même s’il se présente comme celui qui lui protège de la jouissance de sa mère (dans un rêve), ne lui a semble-t-il pas transmis grand chose. C’est un cas où l’on doit laisser ouverte la question diagnostique.
Dans la discussion du texte de Elisabetta Milan-Fournier, présenté par Pierre Sidon, on a pu saisir, chez Bukowski, un rapport entre l’absence d’idéaux et un fort attachement à la bouteille et à la compulsion sexuelle. Cependant, on a signalé également que l’alcool l’aidait à écrire. C’est grâce à son travail d’écrivain qu’il a pu limiter sa jouissance et se faire un nom. Le rejet du père abusif, qui le frappait sans compassion pendant que sa mère le regardait sans le protéger, a déterminé chez Bukowski une position cynique à l’égard des semblants identificatoires offerts par la culture (« le communisme, la diététique, le zen, le surf, la danse classique, l’hypnotisme, la dynamique de groupe, les orgies, le vélo, l’herbe, le catholicisme, les haltères, les voyages, le retrait intérieur, la cuisine végétarienne, l’Inde, la peinture », etc.).
Pour lui l’amour était une « surcharge psychique ». Dès que quelque chose de l’ordre de l’amour, du couple, de la famille, etc., se présentait dans sa vie, il répondait par l’émergence d’une haine destructrice. L’amour était « comme ressentir un rat rognant son estomac ». Bukouski n’était pas intéressé à la parole d’amour, mais à la jouissance du corps. Cependant, il a pu rencontrer une certaine stabilité grâce à la rencontre d’une femme qui, précisément, ne lui demandait rien. Dans sa relation avec elle le sexe n’était pas prépondérant mais il est resté avec elle pendant 16 ans. Elle était surtout un soutien pour lui. Elle fait exception. Quelqu’un lui a dit « Elle te quittera », il a répondu : « Peut-être c’est cela qui m’attire ». Elle est devenue l’objet du jeu du fort-da, elle était jetée mais elle revenait à chaque fois.