Pierre Sidon
Il voulait un appartement thérapeutique car c’était le couronnement de son trajet d’abstinence. Il l’avait réussi jusque-là, et notamment jusqu’au terme de son séjour au CTR (Centre Thérapeutique Résidentiel, jadis « postcure » addictologique).
« dans deux types de textes liés au RMI, la loi relative à sa mise en place et les programmes départementaux d’insertion, on constate que l’autonomie est définie comme un des objectifs principaux du travail social, qui vise à « Permettre aux publics de retrouver leur autonomie », « développer l’autonomie des publics » nous dit le CREDOC (« La notion d’autonomie dans le travail social : l’exemple du RMI », CREDOC / Cahier de recherche – Septembre 2003) :« La loi du RMI inscrit donc la recherche de l’autonomie sociale parmi les préoccupations clés du dispositif d’insertion, juste après la mobilisation et l’emploi, devant le logement, les compétences professionnelles et les soins. Cette notion apparaît donc essentielle dans les objectifs du travail avec les allocataires. Elle est déclinée par le texte, qui évoque à la fois le domaine familial, civique, vie sociale, culturel et sportif. La diversité et l’hétérogénéité des champs évoqués se retrouve dans les programmes départementaux d’insertion et dans les discours des travailleurs sociaux. La méthode préconisée est l’accompagnement social et une des conditions requises est la participation du bénéficiaire. »
Pouvons-nous nous laisser guider par ce signifiant-maître dans tous les cas, voire même seulement dans certains alors que la désinsertion apparaît, dans nos pratiques, comme l’effet même d’une autonomie ? Nous pensons à cet autre sujet qui déclarait récemment, après être passé d’un hébergement en Appartement Thérapeutique à nouveau au CTR après une réalcoolisation et un laisser-tomber généralisé de lui-même : « Je ne suis plus libre, je suis guéri ». La fonction du groupe institutionnel réglé et dirigé vers un but, est parfois salvatrice. Ne l’est-elle pas en général pour chacun et pour la société ? L’individualisme démocratique ne rencontre-t-il pas, dans l’aspiration excessive à son autonomie, son hubris et sa limite ? Il ne s’agit pas d’une uniformisation ou de la dissolution de la singularité de chacun néanmoins, mais bien de l’articulation des singularités entre elles, comme cherche à le dégager par exemple Cynthia Fleury dans Les irremplaçables, qui cite Aristote afin d’illustrer l’écueil d’une singularité retranchée de la collectivité :
« L’homme qui est dans l’incapacité d’être membre d’une communauté, ou qui n’en éprouve nullement le besoin parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie de la cité, et par conséquent est une brute ou un dieu. » (Aristote, Les Politiques, I, 2.)
Le défaut de cette articulation nous fait basculer dans une alternative inacceptable entre celle d’un Maître tyrannique et celle de la… tyrannie du plus grand nombre. La place politique du psychanalyste, si elle existe, serait celle de promouvoir au contraire cette articulation entre les singularités et la démocratie : « autant de langages qu’il y a de désirs : proposition utopique en ceci qu’aucune société n’est encore prête à admettre qu’il y a plusieurs désirs », déplore Barthes dans sa Leçon inaugurale (Leçon, p.25).