Après des décennies de recherches, des pistes se confirment. L’article du Point paru ce jour nous les explique :
Alimentation : gare au sirop de glucose-fructose
De plus en plus employé dans les produits alimentaires manufacturés, le sucre raffiné serait bien plus toxique pour l’organisme que le sucre traditionnel.
PAR ANNE JEANBLANC
« Si l’on tient compte des apports par les aliments industriels, on s’aperçoit qu’au cours du XXe siècle la consommation annuelle de sucre raffiné est passée en France de 2 à 35 kilogrammes par personne. » C’est par ce chiffre qu’Anne-Françoise Burnol, biologiste, directrice de recherche au CNRS, débute un passionnant article consacré au glucose, « un additif problématique ? » Elle souligne que, parallèlement à l’augmentation de la consommation de sucre, on a assisté à l’émergence d’une épidémie de maladies métaboliques comprenant l’obésité, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique non alcoolique (une maladie liée à l’accumulation de graisse dans le foie).
Un peu d’histoire pour commencer : comme le racontaient récemment un professeur en archéologie, un professeur en sciences de la culture et un professeur en physiologie dans Les Échos, les premières cultures de canne à sucre remontent à 8 000 ans avant J.-C., en Asie du Sud-Est. Puis le sucre raffiné est apparu en Inde il y a 2 500 ans, et il est arrivé en Méditerranée au XIIIe siècle. Cette matière « dont personne n’avait besoin, mais dont tout le monde raffolait », selon ces chercheurs, « a façonné notre monde moderne ». Ils ajoutent même que l’emprise du sucre sur le XIXe siècle est plus forte que le « fléau du tabac ou même de l’alcool ». Pour eux, en plus d’être omniprésent, le sucre représente 20 % des apports caloriques de notre alimentation.
« Véritable dépendance »
Anne-Françoise Burnol précise que, pendant longtemps, le sucre ajouté était exclusivement du saccharose, extrait de la betterave ou de la canne. Mais, depuis plusieurs années, « le saccharose tend à être remplacé par du sirop de glucose-fructose, aussi appelé isoglucose ou high fructose corn syrup (HFCS) ». Plus ou moins enrichi en fructose – dont le pouvoir sucrant est cinq fois supérieur à celui du glucose -, le HFCS a une texture liquide, ce qui facilite son utilisation par l’industrie. Et comme il est très bon marché, il est aujourd’hui largement utilisé dans les produits alimentaires manufacturés.
« Cependant, le fructose n’est pas métabolisé de la même manière que le glucose et ses effets sont donc différents », précise la spécialiste. « Tandis que le glucose, dont la concentration sanguine est contrôlée par l’insuline, est utilisable par l’ensemble des tissus de l’organisme, le fructose n’est métabolisé que par le foie et ne dépend pas de l’action de l’insuline ». En revanche, sa consommation augmente le taux des lipides dans le sang et provoque une accumulation de graisse dans le foie. Le fructose est aussi à l’origine du développement de la masse grasse viscérale, considérée comme le « mauvais tissu adipeux ». Par ailleurs, il a un effet plus faible que le glucose sur la sécrétion des hormones intestinales qui favorisent l’action de l’insuline et la régulation de la glycémie.
Dernier point, et non le moindre, selon Anne-Françoise Burnol : le fructose est beaucoup moins efficace que le glucose pour induire la satiété. « Sa consommation peut notamment entraîner une résistance à l’action de la leptine, une hormone produite par le tissu adipeux et qui agit au niveau du cerveau pour réduire la prise alimentaire. Alors qu’on sait que le goût sucré provoque chez les animaux de laboratoire une addiction comparable à celle des drogues, le fructose pourrait agir comme un super-sucre entraînant une véritable dépendance. » D’où la question – inquiétante – posée par l’auteur : le sirop de glucose-fructose doit-il être considéré comme un « poison » ?