Luis Iriarte
Nous allons examiner ce que Jacques Lacan a déployé autour son concept du lien social à partir de sa théorie sur les quatre discours. D’abord, nous pourrions dire que les théorisations de Lacan sur les discours sont complètement liées à ce qu’il avait formalisé dans sa théorie du signifiant. Nous constatons un exemple de cela dans son Séminaire L’envers de la psychanalyse, lorsqu’il commence à parler de ce qu’il a déjà formulé comme étant une première notion du signifiant. Pour introduire le discours du maître, Lacan énonce ce qu’il avait appelé auparavant notre définition du signifiant[1]. Il le définit ainsi lors du Séminaire : « Le signifiant […] est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant »[2].
Ce que nous interprétons de cette citation c’est qu’à cette époque-là, quand il énonçait ladite phrase, on ne pouvait rendre compte du sujet qu’à partir du lien entre deux signifiants, c’est-à-dire par le biais de l’articulation S1-S2. De ce fait, nous dirons que cette première définition du signifiant permet à Lacan de préciser que dans les rapports entre les signifiants il y aura qu’une possibilité limitée des relations qui pourront s’établir.
Cette remarque a été déjà signalée par Lacan dans d’autres moments de ses théorisations, comme par exemple lors du Séminaire sur Les psychoses, quand il manifeste qu’ « il n’y a pas de discours sans un certain ordre temporel, et par conséquent sans une certaine succession concrète »[3]. Pour cette raison nous dirons qu’au moment où Lacan parle de l’articulation entre les signifiants, les éléments seront liés entre eux avec un ordre très précis. En ce sens Lacan avancera qu’il y aura, concernant les rapports entre les signifiants, deux voies possibles[4] : la métaphore (une substitution d’un signifiant par un autre) ou la métonymie (une connexion d’un signifiant avec un autre).
Par ailleurs, nous discernons cette même logique dans la construction des discours : les termes de chaque discours pourront se rattacher, entre eux mêmes, d’une manière très précise à partir de la place qu’ils occuperont au sein du discours.
Or, si nous prenons en considération les théories du signifiant et des discours, nous commençons à percevoir comment se dégage une première conception du lien social chez Lacan. En s’appuyant sur ces théories, Jacques-Alain Miller définit le lien social comme « l’articulation de deux places » où il se présente « un rapport de dominant à dominé »[5]. Pour l’exemplifier, il représente le lien social de la manière suivante :
Donc, cette relation de domination de « X » sur « Y » nous pourrons l’apercevoir dans la théorie du signifiant des années 50′ où le S1 domine S2, mais aussi dans la théorie des discours avec quelque soit le terme qui se met à la place de l’agent, tel comme Lacan l’avait nommé, et qui commande l’ensemble du discours. C’est pour ce fait, que tout lien comporte une influence ou une domination d’un élément sur un autre, que Miller qualifie le lien social à partir d’un néologisme : un lien dominial[6]. Par conséquent, au moment de parler du lien social nous tiendrons en compte cette hiérarchie qui pourrait être implicite à l’intérieur de chaque individu.
Maintenant, nous pouvons aborder la définition de discours tel qu’elle est définie par Lacan dans son Séminaire. Ilexplique que ce dont il s’agit c’est d’ « une structure qui dépasse de beaucoup la parole »[7]. De ce fait, lorsque nous parlerons de discours, nous ne ferons pas référence aux échanges de paroles existantes entre deux personnes. Il distinguera que le discours est lié plutôt à ce qui est déjà présente avant la parole, c’est-à-dire, le langage.
Lacan le développe ainsi : « Par l’instrument du langage s’instaurent un certain nombre de relations stables, à l’intérieur desquelles peut certes s’inscrire quelque chose qui […] va bien plus loin, que les énonciations effectives »[8]. Pour mieux comprendre cette phrase, nous allons élucider deux notions qui reviennent systématiquement quand nous étudions la conception lacanienne du discours : la structure et le langage.
Pendant son Séminaire sur Les psychoses Lacan déploie ces deux définitions. En ce qui concerne la première notion, il affirme que « la structure est d’abord un groupe d’éléments formant un ensemble covariant »[9]. Par rapport au deuxième concept, il manifeste que « ce qui en effet caractérise le langage, c’est le système du signifiant comme tel »[10]. Donc, à partir de ces élucidations nous pourrions faire certaines remarques : 1) Si le discours est une structure, cela implique qu’il est constitué par différents éléments composant un ensemble qui permute. 2) Si ce qui caractérise le langage ce sont les signifiants et non pas la parole, nous pourrions dire alors que les signifiants seront les éléments qui vont constituer l’ensemble covariant au sein de discours. 3) C’est par le biais d’un possible lien entre les signifiants qui pourra s’instaurer, chez les individus, un nombre des relations stables.
Donc, en nous appuyant sur la théorie des discours, nous pourrions définir le lien social comme une construction faite, par les êtres parlants, avec certains signifiants et leur articulation. Si lesdits signifiants ont pu s’articuler entre eux, cette opération leur permettra d’établir des relations avec les autres où la dialectique de parole serait possible. Avec cette définition, nous nous approchons de celle donnée par Pierre Naveau, quand il explique que « le lien entre les signifiants est très précisément le lien social »[11].
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[1] Lacan, J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 819.
[2] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris : Seuil, 1991, p 31
[3] Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris : Seuil, 1981, p. 66.
[4] Ibid., p. 250.
[5] Miller, J.-A., « Psychanalyse et société », Quarto, N° 83, Tournai : Imprimerie Dumortier, 2005, p 7.
[6] Ibid., p. 8.
[7] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris : Seuil, 1991, p. 11.
[8] Ibid., p. 11.
[9] Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris : Seuil, 1981, p. 207.
[10] Ibid., p. 135.
[11] Naveau, P., Les psychoses et le lien social : Le nœud défait, Paris : Anthropos, 2004, p. 56.