TyA / Toxicomanie et Alcoolisme, Réseau du Champ freudien
Voyage au pays du TyA (Europe)
par Fabián A. Naparstek
Ces derniers temps, j’ai eu l’occasion de parcourir différents lieux en Europe où des groupes du TyA montrent leur vivacité et leur force de travail continu. Pour raconter mon voyage, je dois commencer par la Suisse où eut lieu, le 12 avril 2014, la 1ère Conversation du TyA dans le service d’addictologie des hôpitaux universitaires de Genève avec l’appui de l’Asreep-NLS. Grâce à l’inestimable travail de notre ami Nelson Feldman et de nombreux collègues de Suisse, nous avons pu faire un travail épistémique et clinique extrêmement enrichissant. La présence d’Eric Taillandier (Rennes, France) et de Jean-Marc Josson (Bruxelles, Belgique) ont favorisé les échanges en réseau. Puis, au mois de février 2015, je suis allé à Rennes pour retrouver mes collègues. Leur 10ème Conversation, intitulée « Les nouvelles formes de la jouissance », en était le prétexte. Un public de près de 200 personnes a assisté à une journée où se percevait l’enthousiasme de 10 années de travail et où les jeunes étaient majoritaires. A cette occasion, le groupe, animé notamment par Eric Taillandier, a également invité les collègues de Bruxelles. Il s’agissait de mes amis Nadine Page, Pierre Malengreau et Jean-Marc Josson. Leur présence nous a permis de continuer de penser la politique du TyA en Europe et de nouvelles stratégies pour le réseau TyA. Enfin, mon voyage s’est poursuivi à Paris pour la Conversation mensuelle que nos collègues y réalisent. Là, le 9 février, autour de Pierre Sidon et d’un petit groupe de travail, nous nous sommes réunis pour discuter autour de leur thème « Clinique et addictions ». Chacun pouvait participer et l’élaboration collective était le vrai moteur de l’activité. Mais, pour prendre la mesure du TyA-Europe, il faut également tenir compte des autres événements de ce début d’année : le 17 janvier eut lieu la journée annuelle du TyA-Bruxelles avec environ 70 participants ; le 24 janvier celle du TyA-Athènes. Le TyA-Europe a toute vapeur !
Avoir pu partager avec vous ce travail qui fait du réseau un vrai noeud d’élaboration collective me réjouit. Je dis souvent que le TyA est un réseau unique, tant à l’égard des toxicomanies qu’à l’endroit de la psychanalyse d’orientation lacanienne. Il continue d’être une référence dans notre champ d’action en Europe et en Amérique.
Dans la famille TyA, je voudrais… Bruxelles !
Retour sur la 16ème Conversation
par Nadine Page
Le travail avec les familles est assez rarement traité dans notre champ, faisait remarquer Marie-Françoise De Munck en introduisant nos travaux. On le rencontre plutôt dans la clinique avec les enfants. Ainsi, le texte de l’Antenne 110 « Pas sans les parents » en témoigne et a été l’une de nos boussoles pour préparer cette Conversation du 17 janvier 2015 autour de « l’inquiétude des familles ».
Et pourtant, les familles, on y a souvent affaire, remarquait-elle : elles se présentent dans l’institution, interfèrent parfois dans le traitement, voire envahissent le service. Différentes modes d’intervention se rencontrent dans le travail avec les familles : bien souvent, avec les patients toxicomanes, la tendance est d’éloigner le patient de son environnement et donc, de sa famille. Le moment du sevrage correspond à une forme d’isolement. Dans d’autres cas au contraire, des entretiens sont prévus, voire une thérapie familiale, au cours desquels on tente de saisir ce qui, dans ce système d’échanges qu’est la famille, dysfonctionne, et d’y apporter un changement. Parfois, la famille est reçue pour recueillir l’anamnèse, ou préparer la sortie de l’institution ; ou encore, rien n’est prévu, et ce sont les intervenants de première ligne qui ont la charge de recevoir les proches, sans articulation à la prise en charge institutionnelle. Enfin, il arrive que se présente l’un ou l’autre membre de la famille dépassé par la consommation d’un proche : un père ou une mère peut faire de la consommation de son enfant une question, voire un symptôme et vouloir en parler en son nom. Dans tous les cas, il s’agit d’un travail délicat, subtil et complexe nous a indiqué M.-F. De Munck.
Les trois intervenants, Kathleen Delid, Marie Laurent et Etienne Dubois, nous ont présenté des cas qui ont illustré la complexité de cette question. A chaque fois, en effet, la famille est présente : soit qu’elle demande à rencontrer les intervenants, soit qu’elle soit l’objet essentiel des préoccupations du patient. La famille fait donc toujours partie du traitement, en tout cas à partir de ce qu’en dit le patient. Mais alors, quand s’agit-il de la rencontrer ? Et selon quelles modalités ? Ainsi que le formulait Pierre Malengreau, qu’est-ce qui nous fait penser que ce que le patient nous en dit ne suffit pas ?
Ainsi cette jeune femme qui implore, lors de son entrée en cure résidentielle : elle voudrait se faire entendre de sa famille, leur faire comprendre combien la dépendance est difficile, et comment un traitement de substitution peut être utile. Ses relations avec eux sont placées sous le signe de la maltraitance et pourtant, c’est d’eux qu’elle attend un geste, un mot de reconnaissance, qui ne vient pas. La famille refuse tout contact : « la malade, c’est elle ». Cette jeune femme oscille entre une demande sans cesse réitérée d’y retrouver une place, soldée par déceptions et désespoir ; et des tentatives de s’en éloigner qui l’emportent dans l’errance. Ou cet homme, soulagé lorsqu’on propose à sa mère des entretiens pour l’aider à faire face aux conséquences délétères de l’alcoolisme de son fils : « Il n’y a pas que moi qui dois être soigné, ma mère aussi ». Il apparaît alors aux intervenants que la prise en charge de sa mère était une condition pour qu’il consente à consulter. Ou encore cette mère, désespérée, qui n’imagine plus que « le caniveau » comme avenir pour son fils, et qui finira par adresser son impasse à quelqu’un d’autre qu’au médecin de son fils après qu’elle ait acquiescé à ce fait qu’il a retrouvé, dans le décours de sa cure, sa dignité. C’est aussi ce conjoint, qui recherche avec les intervenants les moyens de nouer une conversation avec sa partenaire aux moments où l’appel de l’alcool se fait plus pressant. Ou cet homme qui prendra appui sur le refus d’un trop de présence de sa mère dans le service pour prendre à sa charge l’écart à prendre envers le produit…et avec sa mère.
Dans ce champ de recherche encore à explorer, il nous reste à articuler plus précisément sur quoi se fondent nos interventions. Dans certains cas présentés, là où le lien familial est source de trop de souffrances, qu’une séparation minimale ne peut opérer – une séparation qui ouvre à une certaine pacification du lien, l’enjeu réside dans la construction d’un lien transférentiel qui permette au patient d’adopter une position renouvelée par rapport à ses partenaires familiaux. D’autres ont montré qu’une opération de séparation d’avec le produit permet une pacification du lien avec les proches. Parfois, c’est avec la famille que ce déplacement peut opérer : et il nous reste à inventer à chaque fois comment.
Pour conclure, M.-F. De Munck nous proposait une voie de réflexion : le dispositif du cartel, une modalité de travail en groupe où chacun prend appui sur son désir pour élaborer un certain savoir et où le produit est propre à chacun, peut-il nous inspirer dans la rencontre avec les familles ? Différentes pistes ont été ouvertes ; il reste à les frayer.
Ré-jouissances du TyA-Rennes
Retour sur la 10ème Conversation
par Julien Berthomier et Claire Le Poitevin
Le 6 février dernier, le TyA-Rennes organisait sa 10ème Conversation sur le thème « les nouvelles formes de la jouissance » en présence de Fabián A. Naparstek, psychanalyste à Buenos Aires, membre de l’EOL et de l’AMP, co-fondateur du TyA en Amérique latine avec Judith Miller. Près de 200 personnes étaient présentes tout au long de cette journée rythmée par différentes séquences de travail : exposés de cas cliniques, conférences, table ronde.
À l’ère de l’addiction généralisée, la prolifération des objets addictifs (tout peut faire addiction), mais également les manières inédites et sans cesse renouvelées dont les sujets en font usage interrogent. Ce changement dans le rapport du sujet à son objet d’addiction, comme à son corps et à l’Autre nous invite, en tant que clinicien, à en interroger les effets en particulier dans notre pratique. « Comment juguler les excès en trouvant de nouveaux moyens d’administrer la jouissance ? »
L’équipe du TyA-Rennes désirait donc mettre au travail ces questions cliniques, institutionnelles et politiques. Katell Le Scoarnec, Sophie Taillandier et Jean-Charles Troadec, ont présenté trois cas d’« addicts ordinaires » (1). Ils nous ont montré comment, lorsque le clinicien s’occupe moins de l’addiction que du réel qu’elle traite, le sujet peut trouver a minima à circonscrire la jouissance hors norme ou plutôt hors sens et lui donner une nouvelle forme, plus vivable et moins mortifère. Fabián A. Naparstek, qui nous a apporté ses éclairages précieux tout au long de cette journée, nous a particulièrement enseigné avec sa manière singulière d’attraper la logique du cas par les formules de la sexuation afin d’illustrer « les nouvelles formes de la souffrance » à l’heure de la « féminisation du monde ». Ceci n’a pas été sans faire écho à la conférence qu’il a donné dans un second temps, intitulée « la toxicité du symptôme ». En effet, il nous a invité à « reconsidérer le symptôme au sens classique » en « repensant l’approche de la cure et donc le transfert » à l’ère de la « toxicomanie banalisée ». Ceci a ouvert sur la question de la localisation de la jouissance, et sur la manière pour le clinicien de se situer en place d’être « le bon partenaire d’un symptôme » qui se présente aujourd’hui plutôt sur un versant dépourvu de sens.
Nous avons également souhaité faire une large place au travail en institution. Aussi les deux tables rondes ont été l’occasion d’échanges riches avec des cliniciens qui sont parvenus avec finesse à subvertir des dispositifs institutionnels contemporains pour permettre un accueil toujours plus particularisé des patients. Jean-Marc Josson et Nadine Page, psychanalystes, intervenants à Enaden, « institution déspécialisée pour monosymptôme », posaient la question de ce qui aujourd’hui venait faire point d’arrêt à la jouissance multiple et illimitée des sujets, interrogeant par là la fonction de l’institution. En effet, ils constatent que ce n’est plus tant la jouissance du toxique elle même qui provoque la souffrance et motive la demande de prise en charge. Les sujets se plaignent davantage de ce qui s’emballe (le lien social, le corps…) et c’est face à cet emballement qu’il s’adresse à un Autre pour que ça cesse. Nous avons poursuivi nos échanges avec le Dr Elisabeth Avril, médecin directrice du Csapa Carrud de l’association Gaïa-Paris et Céline De Beaulieu, chargé de mission au sein de cette même association. Elles défendent auprès des politiques la nécessité d’ouvrir des structures telles que les salles de consommation à moindre risque (SCMR) à Paris. Pour le Dr Avril, dans ces dispositifs, l’accueil inconditionnel de tous, quelle que soit la demande, et le lien qui va pouvoir se tisser à partir de là, prime. À rebours du discours commun qui envisage souvent ces SCMR comme un pousse-à-jouir, le Dr Avril parie sur le fait que ces dispositifs, loin d’être de simples « salles de shoot », deviennent des lieux dont les usagers puissent se servir pour trouver un point d’arrêt à leur consommation.
1 Selon l’expression de F. A. Naparstek.