Commentaires sur l’article paru dans la revue La Cause du désir, n°88, hiver 2014, pp 123-126.
Éric COLAS
Qu’est ce qu’une addiction au sexe ? Qu’est ce que ça dit sur la sexualité, le corps, l’amour, le sujet et ses objets ? Natalie Wülfing nous présente le cas d’un homme, K, qui vient, en cours de traitement avec les Dépendant Sexuels Anonymes (DSA), pour lui parler de sa dépendance, de son addiction. Le « sans drame » du titre vient donner le statut de la parole pour ce patient : qu’il n’y en ait pas ! Le début de prise de parole comme sujet en séances provoque chez le patient la nécessité de dire comment sa parole s’est structurée : comme objet du père psychotique. K est un homme « objet », dont la psychose tient par un trait de perversion : que les autres se servent de lui. De la mère de K, rien n’est dit.
Du père, il raconte une scène inaugurale à l’âge de 5 ans, qui donne la coloration de sa subjectivité. Son père a construit un délire d’abus sexuel sur son fils par d’autres enfants du même âge. Il force son fils à accréditer cette histoire et à s’en venger en leur faisant ce qu’ils lui auraient fait. Une simple application de la Loi du Talion. Le fils de 5 ans se soustrait à cette exigence en ne la comprenant pas. Devenu adulte, son souvenir confus lui fait dire que le père est intervenu lui-même. Le patient ne se nomme pas dans la fin de cette séquence. Plus tard, un photographe viendra le prendre en photo, ce qui fixera sa parole comme objet du père : d’abord des propos délirants du père, que le fils ne peut que confirmer, qui sont diffusés, puis réifiés par la mise en photo. Et enfin, le fantasme qu’il en construit sur le modèle « d’un enfant est battu », quand il est grondé par son père, il va dans sa chambre où surgit un fantasme de châtiment corporel : un homme le bat, une jouissance sexuelle le traverse. Ce trait pervers stabilise sa psychose et l’angoisse « concernant le corps ». Plus tard, lorsqu’il sera nommé « pédé » par des policiers, il se souviendra de cette scène.
Le traitement avec les DSA comporte une abstinence de sexualité qui révèle ce qu’elle soutenait : à ce moment-là, dans son image dans le miroir, il voit qu’il lui manque quelque chose qu’il associe à « son dégoût pour l’humanité, la stupidité d’être humain, l’impuissance de son corps ». L’abstinence de ces pratiques sexuelles « addictives » signale le morcellement du corps que le fantasme « pervers » faisait consister : « Ces pratiques mettent un voile là où le corps morcelé et l’image qui vacille témoignent de l’absence de la signification phallique « .
On supposera que c’est cette mise à mal par le traitement des DSA qui l’a amené à consulter une psychanalyste.
Le reste du texte déplie le cas : la structuration psychotique et la nouvelle solution inventée en analyse. On notera les éléments qui indiquent son rapport psychotique au langage : « les mots prennent valeur d’objet livré à l’Autre ». Il ne peut pas donner de parole, où il livrerait quelque chose de lui , ni de trace de lui : ni enfant, ni brevet commercial de ses inventions. Tant que son père était vivant, le patient produisait des œuvres artistiques vidéo qui mettaient en scène son fantasme d’enfant battu.
La reconnaissance de ses qualités d’artisan (en prothèse de corps) entame son refus de laisser sa marque, entendue comme la production d’un objet par un sujet, l’inscrivant, enfin, dans un circuit d’échange d’objets, ici commercial.
La pratique de la parole en analyse l’amène à nouer autrement sa « fixation sexuelle » et son usage de la parole, ce qui « lui permet d’humaniser son « être pour le sexe ». Il peut envisager pour la première fois une histoire d’amour avec un homme à qui il peut parler et qui a un corps, affaibli par une maladie, dont K ne se fait pas la proie : il veut s’en protéger malgré l’attraction. Cette maladie, dont il faut parler, indique que le drame est enfin possible dans la vie de K : de la parole dans la vie sexuelle.
Rien n’est dit de la poursuite de son traitement avec les DSA. On ne sait pas ce qu’il a fait ou pas des constructions langagières des Anonymes.
Mais, on retient la nécessité de proposer une psychanalyse à ceux qui participent des ces groupes d’auto-support.