Rédha Talmat
Une fois par mois depuis quelques années, le CTR organise un atelier philo avec un professeur et les usagers de l’institution. Le groupe se compose donc de 8 à 12 participants en général, professionnels inclus. Le thème de la soirée est choisi par l’ensemble des usagers. Ce jour-là le sujet est : « la dignité ». La séance dure deux heures avec une pose de 10 minutes. Le repas est servi pendant la discussion.
Chaque participant a le loisir de s’exprimer en toute liberté sur le sujet. Ce jour-là Monsieur A., usager des appartements thérapeutiques, accueilli en urgence depuis quelques jours au CTR, fait parti du groupe de parole. A l’aise dans les échanges, il montre de l’intérêt pour le sujet abordé. Assis de manière nonchalante mais néanmoins assurée dans son siège il semble très attentif aux propos de ses collègues et aux interventions finement dosées du professeur.
Pourtant, à moment donné, en milieu de séance j’observe un changement radical de posture et de comportement chez Monsieur A. : subitement redressé et reculé dans le fond de son siège, je le vois se pencher légèrement vers l’avant en regardant ses doigts. Son regard s’est figé et il semble parler sans émettre de sons, absent comme si plus rien n’existait autour de lui.
Cette scène a pu durer deux bonnes minutes avant qu’il n’arrête de parler et que son regard se pose à-nouveau sur les autres participants, semblant revenu parmi nous.
J’ai observé la scène sans intervenir afin de ne pas le stigmatiser vis-à-vis du groupe. Attentif aux regards des autres participants, il m’a semblé que j’avais été le seul à avoir été capté par cet épisode étonnant. Je n’en ai pas discuté avec lui après l’atelier jugeant utile et préférable d’en parler en équipe avant.
Commentaire, par Pierre Sidon :
Selon le célèbre psychiatre Jules Séglas (1856-1939) :« L’hallucination verbale motrice se présente en clinique sous différents aspects suivant son intensité ou sa complexité (…) Elle s’accompagne ou non d’un commencement d’exécution des mouvements d’articulation correspondants. (…) Cette conversation mentale diffère de la pensée ordinaire en ce que le malade ne reconnaît pas cette pensée comme sienne et la laisse en dehors de sa conscience personnelle » [1].
[1] Jules Séglas, « Sur les phénomènes dits hallucinations psychiques », Congrès international de Psychologie, 1901 », in L’année psychologique, 1901 vol. 8. pp. 554-559.