…de l’art de la Conversation à l’ère des addicts, analysants, anonymous
Pierre Sidon pour la première Conversation du TyA-Envers de Paris « Clinique et Addictions » – 3 mars 2014
Nous nous réunissons pour travailler ensemble : découvrir, témoigner, apprendre, comprendre et nous enseigner à-partir de ce que nous faisons : la pratique clinique et l’étude des concepts. Nous tenterons d’en produire une critique raisonnée. Nous sommes déjà nombreux à participer et j’espère que de nombreux travaux seront issus de cette dynamique qui s’est enclenchée.
Tous ces travaux ne pourraient peut-être pas trouver une issue en exposé car nous disposons de peu de temps, deux heures une fois par mois environ, et pour l’instant il est possible que nos élaborations gardent la liberté de n’être que des hypothèses modestes dans le champ immense que nous allons défricher ensemble. C’est une des raisons, entre autre, pour laquelle nous avons privilégié, à la forme séminaire, d’allure universitaire, la forme de travail que nous appelons : conversation.
Conversations
C’est néanmoins un outil puissant : il permet une lecture attentive avant la réunion des participants et la lecture laisse plus libre la réflexion que l’acte d’écouter. Le temps n’y est pas compté, ni scandé par la diction, ou pire, la lecture d’un texte écrit. Puis vient le temps de la réunion où la parole prend alors toute son ampleur, mais elle le fait dans un double sens et pas seulement du locuteur vers l’auditeur comme une parole imposée. Jacques-Alain Miller est celui qui l’a relancée dans notre champ, après le succès d’un certain Socrate (succès relatif car enfin ça a fini par lui coûter cher…), et elle se répand, sous une forme dérivée du Banquet, comme mode fécond d’une élaboration « participative ». Jacques-Alain Miller l’évoque ainsi dans sa préface à la Conversation d’Arcachon : « Lacan avait imaginé une École : elle serait vouée au travail, et ce travail s’exécuterait dans de petits groupes de moins de dix personnes, appelés « cartels ». Il créa ensuite une revue dont les articles n’étaient pas signés. Sans doute cherchait-il pour la psychanalyse quelque mode transindividuel d’élaboration et de publication, à la Bourbaki (…) Ce gai savoir n’est pas sans mérites, vu le pathétique de ce dont il s’agit dans la pratique. »[1] Nous avons en effet affaire à des problématiques parmi les plus pathétiques qui soient, et c’est ce qui, in fine, nous a motivés pour cette activité : pour ne pas rester seuls dans notre travail, face à des patients qui mêlent des souffrances angoissantes à des jouissances énigmatiques. Nous ne sommes pas comme Jean-Jacques Rousseau, naturaliste irrité par la vanité des jeux de l’esprit des conversations urbaines[2], mais plutôt comme Chateaubriand solitaire certes mais reconnaissant à Paris au retour d’un exil : « le charme de la sociabilité qui nous distingue, ce commerce charmant, facile et rapide des intelligences, cette absence de toute morgue et de tout préjugé » qui lui faisait conclure : « on sent qu’on ne peut vivre qu’à Paris. »[3] Pour Mme de Staël, comme pour Voltaire, la conversation est « le partage naturel des français » et ce « plaisir de causer » qu’ils ne le retrouvent nulle part ailleurs est la raison principale de leur « mal du pays »[4]. On appréciera l’usage de l’adjectif naturel, bien différent donc sous la plume d’un Rousseau car, contre Rousseau bien sûr, et avec Lacan, on pourra dire que la conversation est le naturel de l’homme, le naturel de cet animal dénaturé qu’est l’homme. Et nous ne déprisons donc pas, pour notre part, ce gain de jouissance qui compense la souffrance que nous occasionne notre travail, entre ces deux écueils que sont l’identification au sujet qui souffre et le désir de sauver.
Jean-Jacques Rousseau
Enfin, n’oublions pas le quatrième terme, en sus du terme « clinique » ajouté par Jacques-Alain Miller récemment : la conversation est « à la fois littéraire, philosophique, éloquente, militante », nous dit Germaine de Staël. Le rôle politique des conversations à travers l’histoire, en tant que contre-pouvoir est souligné par les historiens. Marc Fumaroli évoque ces espaces de liberté et d’égalité dans cette sociabilité qui néglige rang et titre pour laisser la place au seul mérite de l’esprit et de la rhétorique, et les intitule « contre-institution »[5]. Nous verrons si ce point est pertinent pour nous, tant en ce qui concerne les institutions de soin de chacun, qu’en ce qui concerne l’institution addictologique elle-même, si tant est qu’elle existe : est-ce qu’il y a, en effet, Une institution addictologique, comme on dit L’institution psychiatrique ? Cela dépend de la consistance du discours qui la constitue et c’est une question que nous aurons à traiter ici.
Au pire, dussions nous ne retirer que du plaisir en réinstallant « cette civilisation de la parole artiste » à rebours du « time is money »[6], ce « ton d’égalité », de ce « mélange de la société », de cette « égalité intellectuelle » au principe de ces conversations comme Mme de Staël l’affirme[7] et Chateaubriand le rapporte de celles de l’Hôtel de Rambouillet[8], ce serait déjà politique et ce serait beaucoup.
Il faut rajouter que Lacan a instauré la nécessité de la permutation au principe de la vitalité des groupes de travail, dont le cartel est la modalité la plus répandue dans notre champ. Ce renouvellement permet d’éviter ce que Lacan appelle « la colle », c’est-à-dire que les liens d’amitié, inévitables et bien agréables certes, ne finissent par étouffer la vitalité des échanges.
À ce point de développement, une ressemblance m’a aveuglé : ces réunions, groupes de travail, cartels et conversations, avec l’effacement des individualités, voire l’anonymat des premières publications dans le collectif[9], ce n’était pas sans une ressemblance troublante avec les toujours plus nombreux, les incontournables pour nous, les ubiquitaires, j’ai nommé : les Anonymes, dont les Alcooliques, Alcoholic Anonymous, ont été les pionniers.
Anonymes
Or justement, nous avons formé le projet de nous pencher cette année, entre autres sujets, sur les groupes d’entraide, et en particulier les Alcooliques Anonymes et leurs déclinaisons. Les AA permettent, en 2014, selon le Big book de l’Association, à « deux millions ou plus de membres, répartis dans 100 800 groupes à travers environ 150 pays dans le monde » (…) à commencer « à se rétablir parce qu’il [ont] reçu l’aide d’un autre alcoolique qui a partagé avec lui son expérience, sa force, son espoir. »[10] On a coutume, dans certaines conversations entre professionnels, de se gausser un peu de ces Anonymes dont sont nombre de nos patients. Peut-être est-ce parce qu’ils constituent une partie qui échoue à se suffire de ce soutien, et qu’ils recourent alors à nos services professionnels spécialisés. On a tort de se moquer, déjà parce que s’ils réussissaient tout le temps, on n’aurait plus besoin de nous. Mais plus généralement cette attitude moqueuse est une erreur. Se moquer est toujours une erreur même si c’est une attitude presque consubstantielle de la position médicale. C’est une attitude de supériorité donc de mépris et c’est précisément celle que Lacan a voulu abandonner. Il dénonçait ainsi, en 1956, le : « principe réactionnaire qui recouvre la dualité de celui qui souffre et de celui qui guérit, de l’opposition de celui qui sait à celui qui ignore. »[11] C’est dans l’abandon même de la croyance en une supériorité que se fonde la discipline psychanalytique, quelles que soient ses applications, y-compris dans nos pratiques avec des sujets parmi les plus en difficulté. Un analyste, dans notre perspective, c’est celui qui a touché et assumé, pour lui-même, ce point où il perçoit sa propre partialité – « tout le monde est fou c’est-à-dire délirant » a fini par conclure Lacan[12]. Et cette partialité est liée à sa façon singulière de jouir. L’existence de l’analyste est incompatible avec l’idée de normalité, a fortiori avec celle de supériorité. Une certaine solitude en découle, qui fait des analystes des « épars dépareillés », tels que Lacan les définit en 1976.[13]
Les Anonymes, c’est un succès colossal et un moyen thérapeutique puissant, mais c’est aussi un phénomène qui est en passe devenir un fait de société : il se généralise à toutes lesdites addictions ou dépendances : narcotiques, sex, love, débiteurs, greed addicts (nous avons prévu d’aborder ce thème dans le film Le loup de Wall Street), etc. Et il déborde même le domaine desdites addictions puisque se détachant de ses substantifs l’adjectif est devenu autonome : Anonymous, ce sont ces hackeurs, hacktivistes, revêtus de ce masque à l’occasion de leur attaque de l’église de scientologie, et qui sont amenés à prendre un rôle croissant. L’émancipation de l’adjectif « Anonymous » de ses substantifs « Addicts (à)… » n’est pas indifférent à notre sujet d’étude lorsque l’on évoquera les addictions… sans substance justement. C’est un autre sujet d’exploration à venir. Quoi qu’il en soit, le développement de l’anonymat sera aussi à étudier en tant que tel. Disons dans une première approximation qu’il nous semble à mettre en relation avec le déclin du Père, père du nom, et en rapport avec « la montée au zénith social de l’objet a »[14], soit de la jouissance. Or si « le symptôme est nomination du rapport singulier du sujet à la jouissance » comme le rappelle Pascal Pernot[15], alors on peut prendre avec lui pour exemple les cas de Freud qui conjoignent un nom et un nom d’animal : l’homme aux rats, aux loups, le petit Hans et le cheval, etc. pour se figurer que là où le nom s’efface, l’animal qui représente la pulsion, la jouissance, etc., bref ce qui ne se résorbe pas dans le symbolique, prend plus de place. Ainsi l’on posera comme hypothèse à mettre à l’épreuve, que là où la jouissance grandit à la place laissée vacante des idéaux pluralisés, l’anonymat aussi. Piste à suivre pour une clinique continuiste des addictions.
Analysants
Dans le même temps de celui de l’extension de ce phénomène des Anonymes, il y a donc la communauté des amis de la psychanalyse, des analysants, dont les analystes sont un sous-ensemble, et plus généralement de ceux qui sont curieux du discours de la psychanalyse. Ce discours parti de la découverte de l’inconscient freudien a aussi grandi de façon considérable. Sa pratique a débordé à la fois des fameuses indications ou plutôt des contre-indications initiales – puisqu’il n’y en n’a plus – et qu’il y a, à la place, des adaptations de la psychanalyse à chaque cas. Qui plus est, elle a aussi débordé du cadre initial de la thérapie pour devenir une expérience – c’est le mot de Lacan -, expérience qu’il n’est pas légitime de refuser à quiconque et qui s’est donc étendue au point de devenir, elle aussi, un phénomène de société. C’est à la lumière de ce succès qu’il faut d’ailleurs comprendre les attaques virulentes dont elle fait l’objet. Eh bien l’extension de ce discours dans la civilisation permet, à tout moment à quiconque dans le monde, de s’adresser aussi à ses compagnons d’infortune – infortune de l’être parlant jamais en accord avec son être -, sur la base de la communauté qu’ils forment aussi, dans une forme de conversation, on peut le dire, permanente. Nos réunions en sont un exemple.
Néanmoins, s’il y a conversation, à plusieurs, le lien social particulier sur lequel elle porte, est une relation à deux, un discours dit Lacan, qui n’est pas un lien social, car il n’est qu’à deux. Ce n’est pas là le seul point de divergence entre nos pratiques et celles des anonymes, ce que nous déploierons au cours de l’année.
Qui plus est, si les AA partagent un comportement, une addiction, il n’est pas évident que les Analysants ne partagent pas, eux aussi, une certaine forme d’addiction. Mais qu’est-ce qu’une addiction ?
Addictions
En 1975 l’OMS a tenté d’en donné une définition substantialiste :
« Un état psychique et parfois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l’inconfort de son absence (sevrage). La tolérance peut être présente ou non. »
Selon Marc Valleur, clinicien attentif des addictions comportementales, ce serait cette habitude dont on pourrait dire : « il faudrait qu’elle devienne le centre de l’existence, qu’elle soit une cause de souffrances, qu’elle ne soit plus une source de plaisir, et que la personne ait tenté, en vain, d’y mettre fin. »[16]
Qu’est-ce qui différencie donc un symptôme, en particulier un symptôme à type non pas idéique, quoi qu’on devra se poser la question, mais au-moins en premier lieu un symptôme comportemental, soit une compulsion, par exemple celle de la classique névrose obsessionnelle, qu’est-ce qui la différencierait de la moderne addiction dite addiction comportementale ? Posée ainsi, cette question n’admet pas de réponse. Car ce qui est éludé ici, en posant ainsi la question, c’est l’articulation idée-comportement. C’est l’obsession derrière la compulsion. Rappelons que la psychanalyse nous enseigne que l’on peut faire des différences dans l’abord du symptôme dès lors qu’on le fait parler. Et qu’il y a par exemple des différences fondamentales entre la compulsion isolée et la compulsion avec obsession. Dans l’obsession sous sa forme hypothético-déductive (« si, alors… »), le sens dudit TOC dépend des pensées du sujet, à un niveau de discours qui n’est pas celui des raisons conscientes mais qui se tient dans les marges de ce qu’il ne sait pas de lui, ce qu’on appelle l’inconscient. Dans le TOC sans cette obsession typique de la névrose obsessionnelle, le comportement compulsif est détaché de tout inconscient et peut témoigner alors d’une ritualisation qui tente de mettre en ordre le réel auquel a affaire le sujet là où il n’y a pas de fantasme pour cadrer sa réalité. Le rejet de l’inconscient au principe de l’abord comportementaliste rend donc le TOC indéchiffrable. Eh bien l’on peut en dire de même pour une addiction comportementale. En rejetant l’idée d’une causalité psychique, on dissout la clinique et l’on la livre, d’une part aux interprétations sociologiques et d’autre part aux pseudo-thérapies fondées sur les pratiques prêtes-à-porter de rééducation ainsi qu’à la seule, et néanmoins utile, « réduction des risques ».
Quoi qu’il en soit, il est clair que ceux que Lacan a appelés analysants pour désigner, non pas des malades, les patients, mais ceux qui font cette expérience de la psychanalyse, sont aussi des addicts, addicts au symptôme avant même que de devenir des addicts au divan… et ensuite des addicts au travail comme nous ici. Sont-ils pour autant des anonymes ? Comment ne pas penser ici à l’affirmation de Lacan que « le névrosé est un sans-nom » car « son nom propre l’importune »[17] ?
D’une extase à l’autre
Il est utile pour continuer de comprendre pourquoi et comment les Alcoholic Anonymous sont devenus Anonymous. On trouve l’odyssée de cette création dans le fameux Big Book mais l’enquête de Joseph Kessel dans son livre de 1960 en révèle des éléments essentiels[18] et nous aurons à y revenir en détail. Citons simplement pour aujourd’hui la rencontre avec un des fondateurs, Bill W. (il s’agit de William Griffith Wilson présenté sous une forme anonymisée comme tous les AA y-compris les plus célèbres et connus d’entre eux). Bill W. y raconte sa rencontre avec un prénommé Ebby dont un ami, Rowland Hazard, Rowland H. en public, avait reçu de son psychanalyste désespéré devant son cas, le dernier conseil de vivre une expérience spirituelle ou religieuse.
Bill W. raconte son appel à Dieu dans la clinique où il subit une cure :
« « — S’il y a un Dieu, qu’Il se montre ! Je suis prêt à tout, à tout ! » Alors, d’un seul coup, ma chambre s’éclaira d’une grande lumière blanche. Je fus ravi par une extase telle qu’il n’est point de mots pour la décrire. Il me sembla que j’étais au sommet d’une haute montagne et que le vent sur cette cime n’était pas un souffle de l’air, mais de l’esprit. Et le sentiment éclata en moi que j’étais un homme délivré. « L’extase, lentement, se calma… Tout autour de moi et à travers moi il y avait une sensation merveilleuse de Présence et je me disais : « Voilà donc le Dieu des prédicateurs ! »
Mais peu à peu Bill W… fut pris d’un effroi profond. La transe prodigieuse, la surnaturelle initiation qu’il venait d’éprouver, étonnèrent, inquiétèrent son propre sens logique. Était-ce croyable, possible ? Bill se souvint de l’état dans lequel il était arrivé à la maison de santé, et du sevrage et des drogues calmantes… Tout cela, peut-être, avait fini par détraquer son cerveau. Alors, son extase : hallucination ? La manifestation divine : démence ? »
Le médecin de la clinique qu’il fait quérir immédiatement et auquel il raconte son extase, lui répond :
« — Non, Bill, vous n’êtes pas fou. Il y a eu dans votre cas un choc fondamental, psychologique ou spirituel. J’ai lu le récit d’expériences semblables. Parfois, elles délivrent les gens de l’alcoolisme. Bill W… retomba sur son oreiller avec un soulagement immense. Il pouvait réfléchir en paix à cette illumination qui l’avait visité comme un éclair merveilleux…Quand Bill W… quitta la maison de santé, l’intoxication, pourtant si ancienne et profonde, n’avait plus de pouvoir sur lui. Il n’avait même plus à lutter contre son emprise. L’insatiable désir s’était dissipé. L’appel insidieux, strident et secret, s’était tu. L’alcool n’en demeura pas moins au centre de la vie de Bill. Mais ce fut — et avec l’acharnement même qu’il avait apporté à servir le monstre — pour en libérer les autres. Il avait trouvé la clef du problème : le salut venait du fait qu’un alcoolique, c’est-à-dire Ebby, avait parlé à un autre alcoolique — c’est-à-dire lui — de leur mal commun. Pour arracher tant de misérables à leur enfer — il n’était que de leur passer le message. »
Il faudra encore un peu de temps avant que ce message trouve la forme adaptée à une transmission en douceur, c’est-à-dire graduelle, d’où les fameuses 12 étapes, car dans les premiers temps, le message brut dans toute sa spiritualité n’avait fait que faire fuir les premiers malheureux contactés par le messager. Aujourd’hui la spiritualité des AA fait débat en interne et une scission menace l’édifice[19]. Assistera-t-on à une sécularisation du Mouvement ? Rien n’est moins sûr tant leur théisme nascendi semble consubstantiel de la méthode (présent par exemple dès la deuxième « étape » : « Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. »)
Quant à l’anonymat, la raison manifeste figure dans l’avant propos à la première édition du Big Book :
« Il est important que nous restions anonymes car nous sommes trop peu nombreux actuellement pour répondre au nombre considérable de sollicitations personnelles qui pourraient faire suite à la parution de ce livre. Et comme la plupart d’entre nous sommes des hommes d’affaires ou des gens de professions libérales, nous ne pourrions pas bien nous acquitter de nos tâches dans une telle éventualité. Les gens doivent comprendre que notre œuvre auprès des alcooliques constitue une activité parallèle. Chaque fois que, publiquement, l’un de nos membres doit s’exprimer verbalement ou par écrit sur l’alcoolisme, nous lui conseillons vivement de ne pas mentionner son nom et de se présenter plutôt comme un « membre des Alcooliques anonymes » »[20]
Est-ce là la raison effective ? J’avancerai plutôt l’hypothèse plus haut énoncée d’une difficulté plus foncière et d’un effacement du nom corrélatif du sans-limite de la pulsion en cause dans l’addiction grave. Alors, le névrosé un sans-nom ? Rappelons que Lacan soutient que « la famille conjugale », comme « résidu » dans « l’évolution des sociétés », « met en valeur l’irréductible d’une transmission de l’ordre d’une constitution subjective, impliquant une relation à un désir qui ne soit pas anonyme. »[21] Et c’est à cette transmission qu’il attribue des vertus de structuration névrotique. Il semble donc que la difficulté du névrosé avec son nom, le Nom-du-père, sera à différencier sérieusement de l’absence plus problématique de toute nomination effective. Question pour une clinique différentielle…
Restons-en là pour cette introduction, prélude à, souhaitons-le, de nombreux travaux effectifs. Et pour ce faire, étant nombreux, je vous suggère que ceux qui le désirent n’hésitent pas à s’organiser en cartels afin de travailler en petits groupes plus efficaces les questions qui les intéressent et sur lesquelles il seraient susceptibles au cours de cette année ou des suivantes, de présenter un travail dans les conversations.
[1] Jacques-Alain Miller, Quatrième de couverture, Conversation d’Arcachon, Le Paon, 1997
[2] Bergerol Fabienne, « Chateaubriand et l’art de conversation dans les Mémoires d’outre-tombe », Revue d’histoire littéraire de la France, 6, pp. 1099-1124, 1998.
[3] Mémoires d’outre tombe, Chateaubriand, Bibliothèque La Pléiade, 1951, T.1, p. 440.
[4] De l’Allemagne, Germaine de Staël, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, p. 101
[5] Trois institutions littéraires, Fumaroli Marc, p. 127 et Préface à L’art de la conversation, Paris, Dunod, 1997
[6] Bergerol Fabienne, « Chateaubriand et l’art de conversation dans les Mémoires d’outre-tombe », Revue d’histoire littéraire de la France, 6, p. 1003.
[7] Ibid, p. 103.
[8] La vie de Rancé, Chateaubriand, Gallimard Folio, 1986, p. 54
[9] Dans les premiers numéros de la revue Ornicar ?, les articles ne sont pas signés.
[10] Préface à la 3è édition du Gros livre des AA, mars 1976, disponible sur internet.
[11] La chose freudienne, 1956, Écrits
[12] Jacques Lacan, « Journal d’Ornicar ? », Ornicar ? 17-18, 1979, p. 278. Lire à ce propos sur le site de l’ECF.
[13] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, Paris, Seuil 2011, p. 573.
[14] Lacan, J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2004, p. 414.
[15] Pernot Pascal, « À ordre symbolique inconsistant, clinique créationniste du nom », Les noms et la nomination, Hors série, 2012, p. 10.
[16] Valleur M., Matysiak J.-C., Le désir malade, J.-C. Lattès, 2011, Chap. 1.
[17] Lacan J., « Subversion du sujet, dialectique du désir », Les Écrits, 1966, p. 826.
[18] Kessel J., Avec les alcooliques anonymes, Gallimard Folio, 1960, Chap. 7.
[19] http://www.huffingtonpost.com/2013/03/21/alcoholics-anonymous-wrestles-with-its-spiritual-roots_n_2921797.html