Michèle Brun, addicte à la philosophie et à la psychanalyse, sans parler de la littérature, etc. Article paru le 15.04.2005 sur le site de la SARP
« Les nouvelles formes d’addiction », Champs Flammarion, Docteurs Marc Valleur (psychiatre, médecin chef de l’hôpital Marmottan et Jean-Claude Matysiak (chef de service de la consultation d’addictologie du centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges), revue de l’Édition de 2004.
Quel signifiant lie un mangeur compulsif de cacahuètes, un gamin fou de sa console, Emma Bovary, Don Juan ? C’est l’addiction. Tous sont des addicts. On commence par manger des cacahuètes et on ne peut plus s’arrêter, une autre fois c’est l’amour et l’on devient love addict (voir l’oeuvre essentielle de Susan Peabody Addiction to Love: Overcoming Obsession and Dependency in Relationships, publié par Ten Speed Press, Berkeley, CA.) Sans parler des jeux vidéos ou de l’alcool et des drogues. Mais la contribution théorique essentielle du livre des docteurs Valleur et Matysiak réside dans son « scoop » : en effet, et contrairement à ce qu’un vain public voire des psychanalystes, remplis de préjugés contre les thérapies courtes en douze étapes, pourraient penser, le tueur en série, ou plutôt le « serial killer » (expression plus pointue) est lui aussi simplement un addict : sa drogue, c’est le plaisir à tuer. Comme tout addict il relève donc d’un traitement. Ce livre, si nécessaire, nous aide car il comporte de nombreux tableaux : par exemple page 23, au chapitre « Être ou ne pas être addict », vous trouverez un tableau du DSM IV, et pages 108-109, au chapitre « Accros du sexe », le tableau en douze questions qui permet de s’auto-évaluer : si vous répondez oui à plus dune question, vous l’êtes. Il vous faut alors consulter des spécialistes qui travailleront à vous libérer. Toutefois, et sur le modèle des « Alcooliques Anonymes », vous devrez d’abord reconnaître que vous nêtes plus les maîtres de vous mêmes et que vous vous en remettez à une instance supérieure pour vous aider (Dieu, tel que nous le concevons, ce qui laisse place à une certaine liberté, le Dieu qu’on veut quoi, du moment que cest Lui). « Les psychanalystes penseront facilement que tous les problèmes relèvent du sujet » (page 10) en quoi ils se trompent. En effet « Il existe des arguments très forts en faveur de l’adoption d’une notion d’addiction au sens large, qui rassemble les toxicomanies, l’alcoolisme, le tabagisme, le jeu pathologique, mais aussi certains troubles des conduites alimentaires, les achats compulsifs, les conduites sexuelles ou les relations amoureuses aliénantes. (pages 16-17) . Les « arguments très forts » en question viennent certes d’Amérique ou d’outre-Manche, mais la vieille Europe commence enfin à les reconnaître (si l’on met de côté la réticence de certains groupes qui croient encore en « l’invention de la psychanalyse »). Or que valent ces préjugés analytiques à l’ancienne ? Les auteurs nous le disent bien : « la question de l’instinct de mort (…) a fait couler beaucoup d’encre, et, nous semble-t-il, apporté de trop rapides réponses à des questions vieilles comme le monde » (page 67). Pourtant, méfions nous de ce vieux Freud et de ses inventions et autres simplifications : en effet « au XXème siècle, en partie sous l’influence de la psychanalyse, une sexualité agie, sinon sans retenue, est apparue comme un signe de bonne santé mentale » (page 127). Faut-il en dire plus ? Ce livre jette un pont entre deux mondes, l’un est très vieux, l’autre est plus scientifique et, de toutes façons il y va de notre « rédemption ». Ah ! si seulement Emma avait connu les traitements en douze étapes, si Tristan et Yseult avaient connu les travaux de Susan Peabody sur les love addicts, si les tueurs en série à la française avaient su qu’ils sont simplement des « accros au meurtre » (répondant à six critères scientifiques) et que « l’impact existentiel d’une expérience criminelle peut bouleverser la vie du sujet », nous n’en serions pas où nous en sommes, mais heureusement la science arrive…