Merci à Marie-Hélène Brousse, rédactrice en chef de La Revue La Cause du Désir, pour nous avoir confié en avant première l’éditorial de ce numéro 88, exceptionnel pour nous :

Marie-Hélène Brousse

I do not take drugs. I’m drugs, Salvador Dali

Le langage dans l’expérience analytique, c’est la langue parlée, quotidienne, celle que les gens parlent, disait Lacan à Baltimore lors d’un colloque international sur le structuralisme. C’est là la structure, celle de l’inconscient.  Des mots disparaissent, d’autres surgissent. « Addict » est aujourd’hui sur toutes les lèvres, il flambe dans le discours contemporain. Il a remplacé les mots de « passion », de « vice », d’« habitude », donnant raison à Freud qui, dans Malaise dans la civilisation, prévoyait un avenir où la psychologie remplacerait la morale. Je me souviens d’un cours de Jacques-Alain Miller où il avait montré comment Zazie, l’héroïne de Raymond Queneau, élevait un mot, « moncul », à la valeur d’une formule généralisante : « Xmoncul ». Eh bien « addict », dans la langue parlée, fonctionne ainsi : « drogue addict », « work addict », « sexe addict », bref « x addict ».

Le dossier de ce numéro s’empare du phénomène « addiction » pour faire surgir, à partir de l’expérience des addicts, un savoir nouveau. Chaque lecteur en a la charge, mais quelques éléments importants méritent ici d’être soulignés. Lacan annonçait en 1946 une montée en force du surmoi, que plus tard dans son enseignement il définira, en le différenciant de l’Idéal du moi, par l’impératif de jouissance : « Jouis ». La généralisation du terme « addiction » est le symptôme qui réalise l’accomplissement de cette montée. Addict est donc le nom de symptôme de la jouissance, et le succès du terme rend manifeste le triomphe de cette dernière sur le désir, enraciné qu’il est dans une division du sujet que, précisément, l’addiction à quelque substance que ce soit fait s’évanouir. Ledit « manque » est, lui, d’un tout autre ordre que le désir. Il relève de la volonté, entendez la volonté de jouissance que Sade mit en scène.

Tout a commencé par la toxicomanie, c’est le modèle de départ. Lorsque nous composions ce numéro, un rapport rendu public mardi 9 septembre, à New York, par la Commission globale sur la politique des drogues de l’ONU fit l’effet d’une bombe. Il ne demandait rien de moins aux États que de réorienter radicalement leurs stratégies et de prendre le contrôle des marchés de la drogue. Nous avons posé à un usager, un expert et un avocat la question de ce qu’ils en pensaient. Ces trois opinions convergent en un point : le terme d’addiction est d’un usage politique, il tend à lutter contre l’isolement des drogues illégales d’autres substances, qui, elles, sont légales, l’alcool et le tabac par exemple, par la constitution d’un ensemble tellement large qu’on n’en voit plus les limites aujourd’hui. Outre des textes d’analystes ayant travaillé avec des toxicomanes, on trouvera des articles étudiant le phénomène d’addiction à la lumière de l’orientation lacanienne, certains en mettant la généralisation du terme à l’épreuve de l’essaim des objets et des pratiques concernés. La rubrique C’est politique s’est invitée dans le dossier, questionnant la place du discours capitaliste et des neurosciences dans le processus, comme la rubrique Cas qui met la clinique des addicts à contribution.

Et la psychanalyse elle-même, pratique addictive ? Trois analystes de l’École ont bien voulu répondre. Enfin, Mathieu Lindon, auteur d’un roman dont l’héroïne est l’héroïne, a accepté de converser avec LCD sur ce qu’est pour lui Une vie pornographique. Il y montre que le seul rival de l’addiction est l’amour, fait en partie de la même étoffe. À lire à la lumière du texte de l’intervention essentielle de Jacques-Alain Miller au dernier congrès de l’Association mondiale de psychanalyse, puisqu’il y déploie notamment en quoi le XXIe siècle est pornographique.

On trouvera aussi dans ce numéro la suite de l’article de Jean-Claude Maleval sur l’autisme et quatre textes d’analystes de l’École qui, de ce qui Reste de leur analyse, éclairent le continent, plus si noir que ça, de la sexualité au féminin.

Et, surprise, une nouvelle rubrique, à l’initiative de J.-A. Miller, dont la responsable est Laura Sokolowsky : Archives. Pour l’inaugurer, une interview donnée par Jacques Lacan lui-même en Italie en 1974. On y apprend qu’il n’y a pas de crise en psychanalyse, que ce qui ne va pas est la course au progrès, que ce qui pousse les gens en analyse est la peur, que le réel et l’impossible sont antithétiques…

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