Jacqueline Janiaux

La première partie de la réunion fut consacrée à la discussion du travail de Luis Iriarte qui interroge le statut de la passion chez Stéphane Zweig. En écho,  la présentation faite par Elisabetta Milan Fournier introduit une autre question : S. Zweig serait-il en prise à une passion de la passion ?

Dans l’œuvre « 24h de la vie d’une femme » Mme C. est fascinée par les signes physiques de la passion du jeune polonais lorsqu’il joue, signes notamment visibles dans le mouvement de ses mains et les traits de son visage. Elle est captivée par les signes de la jouissance du corps du joueur. Elisabetta Milan Fournier rappelle le texte de Freud traitant de l’onanisme dans la correspondance de Freud et Zweig : « pour l’élaboration poétique, l’onanisme… est remplacé par autre chose, le jeu qui est un bon substitut ». La vie du jeune polonais se réduit à la table de jeu alors que Mme C. veut le sauver de sa passion toxique.

Dans « la nouvelle du jeu d’échecs » Mirko Czentovic qui a développé une complète indifférence aux liens avec son entourage se découvre une passion pour le jeu. Il gagne à condition que l’échiquier soit sous ses yeux car il est privé de capacité d’abstraction. Le Docteur B., autre personnage de la nouvelle,  fait prisonnier, sort du vide dans lequel il se trouve grâce à sa capacité à imaginer un jeu d’échecs. Le jeu devient là aussi une passion : « le plaisir de jouer s’est mué en délectation morbide et celle-ci en esclavage ».

Outre la passion en lien direct avec l’objet, Luis Iriarte évoque la passion d’autrui pour qualifier la passion de Mme C., vidée de son désir de vie après un deuil. Elle se donne pour mission de « sauver le jeune homme »,  ce qui lui restitue le sentiment de la vie. La discussion met en résonnance la jouissance du corps de l’autre et la fascination au lieu de l’autre. Vérifier que la jouissance est dans le corps de l’autre pourrait pacifier la propre jouissance de Mme ainsi localisée.

Dans l’œuvre de Zweig, il y aurait des traits qui se répètent. Il y a un objet, une pratique envahissante et mortifère de l’objet. Ses écrits parlent de lui, pas forcément de son histoire. Il est souligné dans les échanges que Zweig n’a pas mesuré la montée du nazisme dans son propre pays et qu’il s’est finalement senti persécuté au Brésil par le nazisme. Quand il perd son pays, identifié à lui, il se suicide. Dans le dernier numéro de mental sur les identités, Philippe Lacadée le décrit comme mélancolique.

La deuxième partie de la soirée  a été consacrée à  la discussion du texte « vie quotidienne  et symptôme » d’Edwige Shaki. Elle pose la question d’une psychopathologie du quotidien à l’époque contemporaine en rapport avec les nouveaux objets technologiques.

Trois vignettes cliniques illustrent la jouissance de la surveillance qui ne permet pas la symbolisation de la séparation.

L’une d’elle met en lumière la position médicale pour limiter l’angoisse d’une jeune femme enceinte qui perdit l’enfant qu’elle portait à huit mois de grossesse. Les échographies sont multipliées sans effet sur l’angoisse et la jouissance.

Une seconde traite d’une femme atteinte de jalousie maladive. Elle se séparera de son partenaire mais deviendra addict à son ordinateur.

La troisième vignette traite de la honte corrélée au regard et de la demande de conformité chez une patiente sans aucune question sur son désir.

Dans ces trois cas, il s’est agi de limiter la jouissance du sujet alors que le discours médical ou social tente de faire taire la jouissance singulière en empruntant les canaux contemporains. Pierre Sidon fait remarquer que selon Jacques Alain Miller « il n’y a pas de sujet contemporain, qu’il n’y a que des objets qui impliquent un mode de vie contemporain ». Eric Colas, qui a présenté ce travail, souligne que ce qui a été démontré est le lien entre les objets a des sujets et leur mode de jouissance dans notre société contemporaine véhiculant  à travers la technologie une omniprésence de la jouissance. SI la science permet le développement technologique, le discours de la science n’en régule pas les effets sur les sujets.