Mauricio Rugeles Schoonewolff

La discussion de la dernière réunion du TyA a eu trois moments : le discours de bienvenue et de présentation de Pierre Sidon, la discussion du cas de Stéphanie Lavigne et la discussion du cas de Pierre Sidon. Dans ce résumé je vais exposer les discussions principales de la soirée en respectant l’ordre des trois moments.

Pierre Sidon a ouvert la soirée en exposant ce qui les conversations cliniques sont. Il a insisté sur le manque de discussion sur la clinique dans les institutions qui traitent d’addiction ; nous nous réunissons pour en discuter depuis plusieurs années. De cette façon, ces conversations n’ont une structure ni professorale ni universitaire. Cette année nous allons discuter des passions : ce sujet à peine présent chez Freud est surtout présent chez Lacan. Lors de cette première soirée, la discussion a tourné autour de la haine, passion discutée et exposés dans deux cas cliniques. Récemment en France nous étés confrontés à la haine à cause des attentats de l’année dernière, ce qui nous a réveillé.

Ces discussions nous aident à répondre à la question suivante : quel est le rôle du psychanalyste dans le lieu publique ? Récemment la psychanalyse devient plus présente dans le domaine public : depuis quelques années la psychanalyse a été utilisée pour défendre l’autorisation à la jouissance, le droit à la jouissance même. Elle a donc fait partie des les luttes pour des droits nouveaux : la bioéthique, la question des mœurs, le mariage pour tous… Aussi, cela pose des questions sur la psychanalyse à l’époque du déclin du père : que devient-elle sans une référence fixe à la tradition ? La psychanalyse, sinon révolutionnaire, est au-moins subversive ; mais les psychanalystes deviennent des conservateurs s’ils ne sont pas en lien avec l’époque.

Maintenant nous sommes dans une guerre nouvelle, dans laquelle les vieux repères (le patriotisme et le territoire bien défini par exemple) n’opèrent pas, mais c’est une situation qui nous touche tous. Qu’est-ce que nous pouvons dire de ce nouveau temps ? Nous suivons des pistes de Jacques-Alain Miller, comme il a écrit dans Le Point en 2015 : il faut participer au débat public, comme il l’a fait en commentant le déprimisme français. La France serait un pays endormi, où cette position est encore possible. Nous suivons aussi Lacan dans deux positions qui ont restées constantes dans son enseignement : le sujet individuel est le sujet du collectif : il faut donc comprendre et intervenir sur la subjectivité de l’époque. De cette façon, participer dans au débat serait une forme d’intervention, une interprétation à ce sujet-là. Et pour cela il faut rester contemporains et ne pas se laisser obnubiler par la tradition.

Avec cela, Pierre Sidon nous informe sur le colloque à venir de l’Envers de Paris qui aura lieu le 10 juin prochain et qui portera sur les nouvelles formes de la ségrégation. C’est un thème que Lacan a beaucoup évoqué. Nous voudrions étudier et parler les phénomènes de notre temps, et alerter aussi. C’est un débat important, auquel nous pourrions participer. Et cela, sans perdre le fil de la clinique.

 

Le texte de Stéphanie Lavigne était une réélaboration d’un commentaire sur ce qu’est l’acting out ; Mathilde Braun en a fait le résumé. Les passions de sa patiente pencheraient sur l’objet oral et de que Stéphanie nomme « la haine de soi ». Stéphanie c’est intéressée aux objets de la patiente spécifiquement à cet objet oral pour la faire parler – et la patiente répondait en disant « je n’aime pas parler de ça, » tout en parlant spécifiquement de nourriture et de sexualité. Cela fait apparaître le signifiant « radin » au masculin. Les objets qui sont du « pas cher » évoqueraient le « pas chair. » Stéphanie met en question la vitesse de son approche : a-t-elle touché quelque chose de l’objet réel de la patiente, ce qui l’angoisse et cause un acting out ? À l’appui de son hypothèse, Stéphanie évoque deux points : la patiente ne disparaît pas comme sujet dans son acte et cet acte constitue une adresse. En cause : elle se demande si elle a touché quelque chose qui dévoile l’objet, cause de l’angoisse, et l’acting out serait ainsi une façon de se mettre à l’abri. Selon Pierre Sidon, par contre, l’acting out serait causé par une interprétation qui fait a fait défaut, en évoquant le cas de « l’homme aux cervelles fraiches » : dans ce cas-là l’interprétation serait du côté du sens, pas du côté de l’objet a et de l’inconscient. Est-ce que, dans notre cas, la patiente n’évitait pas un passage à l’acte ? Stéphanie entendait, avec son intervention, soutenir le désir a minima.

Le transfert qui s’est mis en place semble basé sur le fait que Stéphanie a posé les mêmes questions que son père lui posait : l’alcool et le travail. Stéphanie pose la question, et le sujet se met au travail, bien qu’avec difficulté. Il y a des questions qui restent ouvertes : quand est-ce qu’il faut interpréter ? Quel est le diagnostic : est-ce qu’elle boit ce qu’elle est ou est-ce un cas d’anorexie mentale dans l’hystérie ? De toute façon, le signifiant « alcoolique » lui permet de jouir à condition de ne pas trop parler, et elle répond comme elle a répondu à son père : « travailler oui, mais un peu ». Sur l’hystérie, Pierre Sidon évoque un propos de Jacques-Alain Miller dans son cours de l’année 2000 : dans le cas de l’hystérie, il faut diriger la cure et tout à la fois ne pas incarner le maître.

Sur le cas présenté par Pierre Sidon (paru depuis dans une version un peu abrégée dans la revue Horizon de l’Envers de Paris) Coralie Haslé a repris le titre de « raddictalisation express » pour évoquer le passage à l’acte dans la clinique des adolescents ; cela fait insistance sur la vitesse avec laquelle le sujet a rencontré et s’est approprié du matériel sur internet –essentiellement vidéo – qui l’a poussé vers la radicalisation. Si dans son enfance il était aveuglément obéissant à ses parents, dans son adolescence il obéit désormais à un des signifiants-maître d’un de ses parents, qui le pousse d’abord à la consommation de drogues. Puis c’est la passion du djihad qui prend le relais et le guérit des drogues. Mais dans les deux cas, il s’agit de « réaliser un fantasme » : celui d’un enfant « innocent » « nommé à » la mort. Dans la lecture du cas, Pierre Sidon a proposé deux hypothèses non contradictoires : la possibilité – rhétorique – d’une « addiction au djihad » comme issue à une forte crise d’angoisse : les vidéos de propagande l’aidaient à organiser son monde : vidéos de décapitations comme image en miroir de son propre corps morcelé. Quant aux théories du complot, elles seraient une façon d’organiser le symbolique de son monde. Ces vidéos l’auraient ravi – référence à l’étude de Lacan du Ravissement de Lol V. Stein de Duras. La sexualité pour lui n’était pas assez liée pour faire symptôme. Cependant, son délire idéaliste passionné ne lui a pas permis de s’élever assez (l’« escabeau » de Lacan) pour constituer un lien social nouveau à même de lui éviter un destin mortel.

La consommation de drogues chez ce patient a duré plusieurs années, et a été substituée ou déplacée par la radicalisation, ce qui est frappant : en général la consommation est une séquelle qui persiste chez la plupart des sujets. Chez lui, par contre, il y a eu un déplacement du symptôme d’une addiction à une autre. Pierre Sidon a évoqué « l’addiction à la haine » : si ces dernières années nous avons étudié certains types d’addictions dites sans substance (le jeu, le sexe, l’amour, les jeux vidéo…) pourquoi ne trouve-t-on pas, dans la littérature dite scientifique, la trace de l’évidente addiction à la haine ? Comme « passion de l’être » elle serait présente chez la plupart des sujets. Mais à différence des autres types d’addiction – et de l’amour – elle ne cause pas autant de souffrance pour le sujet. Elle entraine par contre des dégâts dans le social. D’où le rôle de la psychiatrie – rattaché à la loi – bien que ce ne soient presque plus les psychiatres qui assument cet « office social » (Lacan). Au bout du compte, ce sujet a consenti à aller en psychiatrie. Pierre Sidon a insisté sur la nécessité de l’hospitalisation du fait que sa capacité au transfert n’était pas assez forte pour éviter un passage à l’acte. Une autre voie se semblait pas possible du fait de la faiblesse de sa prise dans l’ordre symbolique. Il s’agissait moins d’une pensée politique problématique (certitudes délirantes ou opposition politique comme dans la vielle psychiatrie soviétique) que d’angoisses et de morcellement corporel. Quelle thérapeutique proposer à ce type de patients ? Dans un premier temps, les murs et les médicaments s’imposaient.