Une obligation de soins, à 18 ans
Éric COLAS

Les personnes qui viennent au titre d’une obligation de soins, ne viennent pas à leur demande et peuvent venir tous les mois pendant un an sans avoir la moindre demande. Ceci ne les empêche pas de parler un peu, laissant dans l’ombre ce qu’il en est de leur subjectivité. Prenant le parti de ne rien savoir d’avance de tout ce dispositif judiciaire, d’occuper la place du naïf qui reçoit une personne en obligation de soins pour la première fois, et de ne comprendre qu’à peine ce qu’ils me racontent, j’engage la discussion en maintenant que c’est un Autre qui veut. Pas un Autre protecteur, mais un Autre contraignant, menaçant, voire méchant. Je cherche à saisir ce qu’ils ont fait de cette obligation, en m’intéressant à peine, initialement, à qui ils sont en dehors de ce problème qui les amène.
Voici, une conversation, anonymisée, à peine retouchée qui fait entendre ce type d’échange et parfois une rencontre qui pourra se poursuivre, sans vouloir la faire sortir du cadre judiciaire et en faisant moi-même les attestation pour l’autorité pénale. Une période est donnée, il n’y a qu’à l’utiliser …

– Alors, qu’est qui vous arrive ?
– On m’a dit de venir.
– Pourquoi ?
– C’est pas moi, je suis obligé. On m’a dit de venir là.
– Qui ça ?
– C’est la SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR]. Elle dit que je suis consommateur de cannabis.
– C’est quoi la SPIP ?
– C’est l’éducatrice pour les grands.
– Pourquoi ici ?
– Elle m’a dit d’aller à X., mais ils n’ont plus de place.
– Qu’est ce qui s’est passé ?
– J’ai été interpellé [au printemps] par les policiers. J’étais sous l’emprise d’un stupéfiant.
– Vous avez été condamné ?
– Oui, pour traffic.
– Ah bon ?!
– Oui, usage, transport, acquisition.
– Condamné à quoi ?
– Ben à venir, c’est l’obligation de soins.

Venir parler au psy du CSAPA est une obligation pénale, donc très loin de la demande d’aide au titre d’une souffrance.

– Et quoi d’autre ?
– 2 mois de sursis, 2 ans de mise à l’épreuve, 500 € d’amende.
– Vous avez payé l’amende ?
– Pas encore.
– Vous avez mis beaucoup de temps à venir …
– Je peux arrêter de fumer quand je veux.
– …
– Elle dit que je suis consommateur. Si je décide de m’arrêter, j’arrête. Je l’ai déjà fait fait 3, 4 fois.

C’est la consommation qui perdure qui est problématique. Consommation qu’il ne veut pas cesser.

– Et depuis, il s’est passé quoi ?
– J’ai été interpellé pour possession. J’ai payé 500 € d’amende.
– Vous l’avez déjà payée ?

Les amendes sont considérées payées alors qu’elles le sont en retard.
La première interpellation n’a pas empêché qu’il continue le traffic.

– Pas encore.
– Et quoi d’autre ?
– Pour le 31, on est allé à Amsterdam.
– Où ?
– On s’est perdus, et puis on a fait les coffee-shops.
– Drôle d’idée, vu que vous venez d’être condamné…
– Pour l’instant, j’ai pas envie d’arrêter. Là, je fume moins. Avant, j’étais défonce « H 24 ». Là, je vends plus.

Il s’est passé un petit quelque chose de différent dont il n’explique pas les raisons. Je change de sujet considérant qu’on n’ira pas plus loin sur le judiciaire. Et qu’il peut se présenter un petit peu.

– Vous avez arrêté vos études quand ?
– J’ai fait un CAP de mécanique.
– Vous avez passé le diplôme ?
– Je me suis arrêté en avril.

Là encore, il considère comme acquis ce qui n’est pas arrivé à son terme.

– Qu’est ce qu’il s’est passé pour que vous n’alliez pas jusqu’à l’examen ?
– J’en ai eu marre, en deux ans, j’avais fait qu’un cadre et une boîte à outils.
– Ça vous plaisait le bois ?
– Moi, j’aimais bien que l’atelier.
– …
– Je voulais construire des meubles. Et après, je me suis mis à beaucoup fumer.

Enfin, une chose qui l’intéresse, dont il a été déçu et qui n’est pas de la drogue.

– Je vais faire l’attestation de passage pour la SPIP.
– …
– Vous voulez qu’on se revoit ?
– Ouais…
– Dans un mois ? La semaine prochaine ?
– Quand vous voulez …
– Dans quinze jours ?
– OK.

Ce ne sont plus les RDV avec la conseillère SPIP et la nécessité des certificats qui rythment les RDV avec le psychologue. Une ouverture ?