TyA / Toxicomanie et Alcoolisme – Réseau du Champ freudien

Allez, encore un pour la route ! 

par Eric Taillandier

Depuis 2 ans maintenant, Jean-Marc Josson (Bruxelles), Nelson Feldman (Genève) et moi-même (Rennes) élaborons et diffusons la Lettre du TyA-Europe. Ensemble, nous aurons sorti jusqu’à présent 10 numéros à un rythme tranquille mais plutôt régulier. Annoncer les Conversations en Europe et parfois, comme c’est encore ici le cas, en Amérique du Sud, rendre compte de nos travaux, témoigner de nos échanges au niveau international, etc., fait pour nous l’intérêt de la Lettre. Alors, encore merci à celles et ceux qui répondent chaque fois à nos sollicitations pour écrire « un petit quelque chose » et qui donnent ainsi consistance au travail en réseau du TyA. Voilà l’effort à poursuivre. Dont acte : voici le numéro 50 pour la route !

Le TyA-Athènes en crise ?

Retour sur la 3ème Conversation / « Crise et consommation de drogues »

par Polina Agapaki et Epaminondas Theodoridis

Le 24 janvier dernier se tenait, dans l’amphithéâtre de l’Hôpital Général « G. Gennimatas », la 3ème Conversation du TyAà Athènes avec la participation de notre invitée Nadine Page, membre de l’ECF, intervenante au Centre médical Enaden et enseignante à la Section clinique de Bruxelles. Cette journée de travail était organisée par le réseau TyA-Grèce, en collaboration avec la Société Hellénique de la NLS.

Devant un auditoire de 70 personnes, Anna Pigkou, présidente de la Société Hellénique de la NLS, a introduit la journée. Epaminondas Theodoridis, responsable du réseau TyA-Grèce, a présidé les deux sessions de cette 3ème Conversation. Après avoir présenté Nadine Page, il nous a rappelé la thèse de Jacques-Alain Miller : « Le modèle général de la vie quotidienne au XXIe siècle, c’est l’addiction. Le « Un » jouit tout seul avec sa drogue, et toute activité peut devenir drogue : le sport, le sexe, le travail, le smartphone, Facebook… » (1). L’addiction généralisée est le symptôme de notre époque qui ordonne : Jouis !

Ensuite, Nadine Page a ouvert les travaux par son intervention « Crise et consommation des drogues ». Elle a souligné que la consommation de drogue n’est pas, en soi, synonyme de crise pour la plupart des patients, qu’elle vient plutôt comme une forme de réponse à quelque chose qui (a) fait crise. Et c’est lorsque cette forme de réponse ne fonctionne plus que le sujet demande de l’aide. Elle nous a aussi parlé du motif de la consultation, qui s’origine soit dans l’Autre, soit dans une manifestation plus abrupte du réel face à laquelle l’usager ne dispose pas des ressources symboliques lui permettant d’y apporter une autre réponse que la consommation ; il ne peut peut-être pas y interposer l’écran de son fantasme. Ainsi, bien souvent, la consommation en elle-même ne conduit pas l’usager à s’interroger et à adresser cette question à l’analyste mais, éventuellement, ses conséquences. Le produit dévoile là son statut de partenaire électif dusujet.

Par deux cas cliniques, Nadine Page a illustré comment l’usage du toxique permet de se débrancher de l’Autre. Dans le premier cas, pour une jeune femme la consommation de drogues recouvrait deux fonctions : d’une part, se protéger de l’ennui qu’elle ressentait dans sa vie sociale faute de pouvoir entrer dans le discours établi et, d’autre part, tenter de supporter le surgissement d’un réel face auquel elle se trouvait sans appui et qui la renvoyait vers la vacuité du sens de l’existence. Les interventions de l’analyste visaient à lui rendre plus accessible le discours commun et à ne pas dévoiler l’absence de garantie de l’Autre.

Dans le deuxième cas, un homme essaie de « chercher la mesure » de sa consommation d’alcool en s’imposant des impératifs surmoïques qui l’étouffent. La fonction de l’alcool est de l’alléger des contraintes de la vie en lui permettant des moments de débranchement nécessaires pour supporter ces exigences. L’intervention de l’analyste visait à lui donner la possibilité d’introduire un peu de « jeu » dans la contrainte qu’il voulait s’appliquer à lui-même.

Dans les deux cas, le surgissement d’une occurrence du réel (sous les espèces de la mort d’un proche) a dévoilé le défaut de garantie qui aurait permis un réaménagement de la position du sujet à l’égard de l’Autre à l’aide de son fantasme. Le recours à cette jouissance de l’addiction apparaît comme un mode de traitement de cette impasse où le sujet s’est trouvé sans recours. Par la suite, trois collègues grecs ont présenté des cas cliniques qui ont été discutés avec le public et commentés par Nadine Page.

Thanos Xafenias, membre de la Société Hellénique et de la NLS, a présenté le cas d’une jeune femme héroïnomane, admise au programme de substitution il y a trois ans. Sa position mélancolique s’inscrivait sous le signifiant « abandonnée » et sa question était : est-ce que je vaux quelque chose? Elle qui se met en position de déchet, avec l’usage de l’héroïne réussit à faire disparaître le regard des autres qui l’observent et médisent d’elle. L’héroïne l’aide à passer inaperçue. La thérapie l’a aidée à subjectiviser quelque chose de son expérience et lui a permis de relativiser la jouissance de l’Autre qui devient ainsi moins persécuteur. Devenue mère, elle trouve un but dans sa vie, s’occuper de sa fille et prendre soin des autres en tant qu’infirmière. Bien qu’elle ne s’imagine pas encore pouvoir se passer de la drogue, il reste à voir dans quelle mesure elle pourra passer à une dépendance de la parole.

Dossia Avdelidi, membre de la Société Hellénique et de la NLS, a présenté le cas d’un homme qui se dit alcoolique. Il est venu en analyse il y a cinq ans, anéanti après une séparation. Il s’agit d’un sujet obsessionnel qui a recours à l’alcool à cause des impasses de son désir. La demande et le désir de l’Autre lui sont insupportables. L’alcool lui sert à ne pas poser la question du désir, c’est-à-dire à ne pas poser la question du rapport sexuel. L’alcool lui donne accès à une jouissance sans l’Autre, à une jouissance autistique. Bref, l’alcool renforce sa structure et supporte son symptôme obsessionnel. L’enjeu pour ce sujet est de réussir à subvertir l’insupportable de son symptôme et de supporter la proximité de l’Autre sexué. Le vacillement de l’identification brute « je suis alcoolique », a permis une première rectification subjective et une diminution importante de la consommation d’alcool. Il reste la modification de sa jouissance, pour ouvrir le chemin à l’Autre et à un désir un peu moins impossible.

Enfin, Dimitris Tserpelis a présenté le cas d’un homme dépendant de l’héroïne et consommateur occasionnel de cannabis, en thérapie depuis cinq ans. Il a commencé à consommer du cannabis à l’adolescence et de l’héroïne à l’âge de 21 ans. À 32 ans, il a eu sa première décompensation psychotique par un violent passage à l’acte, agressant violemment sa fiancée. Il a toujours été le « mouton noir » du village et de sa famille. Il ne fait aucune confiance aux autres d’où sa grande colère envers la méchanceté de l’Autre. La relation thérapeutique lui a permis de prendre une distance avec l’Autre jouisseur et de nouer des liens avec les collègues de son travail. Un an après la conclusion de sa cure, il appelle son thérapeute pour lui dire qu’il est toujours abstinent.

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1 Jacques-Alain Miller, Les prophéties de Lacan, Le Point, édition du 18.02.11.

 

2ème colloque du TyA-Americá – Addictions de notre temps : variations sur la jouissance contemporaine

Le 3 septembre prochain [en marge du Congrès ENAPOL] se tiendra à São Paulo, au Brésil, le Deuxième colloque international du réseau TyA. Nous proposons d’enquêter sur les addictions de notre époque qui nous emmènent au-delà des substances légales ou illégales. Ces addictions au pluriel nous indiquent qu’il n’y a pas une forme unique d’intoxication, mais des modalités de jouissance variées. Aujourd’hui, tout peut se transformer en toxique, dans un glissement métonymique infini : le jeu, le sexe, internet, le GSM, FaceBook, les relations occasionnelles…

La clinique des addictions a beaucoup à nous apprendre à propos de la réitération de la jouissance solitaire qui, dévastatrice, fait des ravages dans les corps. Jouissance solitaire, jouissance de l’Un, capture de la jouissance par le regard : qu’y a-t-il de nouveau dans la clinique des toxicomanies ? Vivons-nous vraiment à l’époque de la toxicomanie généralisée ? Comment la psychanalyse répond-t-elle à ces nouveaux symptômes ? Celles-ci et d’autres questions encore orienteront notre deuxième colloque.

Commission scientifique et d’organisation : Cassandra Farias ; Dario Galante ; Fabián Naparstek ; Giovanna Quáglia ; Maria Célia Kato ; Maria Wilma Faria ; Oscar Reymundo ; Pablo Sauce ; Renato Vieira ; Sérgio Mattos.

Renseignements : Maria Wilma S. de Faria (mwilma62@gmail.com)

Traduction d’Eric Taillandier