Pierre Sidon

Entré au CTR à 48 ans suite à une huitième incarcération pour vol à la roulotte, il dit sa « honte » : « – Minable ! À mon âge : incarcéré pour un poste de radio ! »
Quelques jours après son arrivée, les services pénitentiaires le convoquent car il n’avait pas pu relever plusieurs de leurs courriers. Il risque de devoir retourner en prison pour « une vieille affaire de 2012. » Il dénie, ne reconnaît qu’acculé, les faits qu’on lui reproche, feignant d’avoir oublié. Mais plus que la prison, c’est retourner à la rue qu’il redoute. On l’assure qu’on lui gardera une place s’il devait être incarcéré à nouveau et on l’accompagne au Palais de Justice.
Carte chance : il a retiré son courrier recommandé au dernier jour et a pu faire appel. Il ne passera pas, à-nouveau, pour l’instant, par la case prison. Il est soulagé et retrouve, avec sa jovialité, ce trait qu’on avait aperçu dès son arrivée : il veut faire plaisir aux autres. Se faire accepter. On apprend, à cette occasion, qu’il n’a jamais gagné d’argent avec ses vols : c’était pour offrir.
Il a commencé à prendre l’héroïne proposée par un oncle à vingt ans. Il ne sait pas bien pourquoi, mais il évoque : « probablement une dépression qui venait » au sortir de l’enfance. L’arrivée d’un beau-père méchant venait de le séparer, avec le service militaire, d’une mère qui avait répercuté sur son enfant la menace d’un père inconnu et qui viendrait un jour kidnaper son fils. « Unwanted » il était donc, comme l’épingle Lacan dans ses Écrits (p. 682.)

C’est donc cela qu’il est, a été et contre cela qu’il lutte en achetant, par des cadeaux, un droit d’exister pour l’autre. Mais comment ne pas continuer à être « l’indésirable » s’il continue à se faire incarcérer régulièrement ?
Mais c’est alors qu’il évoque à nouveau son fils de vingt ans, lui aussi actuellement incarcéré : il a honte, et d’autant plus que le motif en est un braquage.
Cette honte signe une position éthique : celle d’un désaccord avec son propre style de vie, pourtant irrepressible, et qu’il a peut-être transmis à son fils. Il s’en fait en tout cas responsable et c’est bien la honte qui faisait passer son oubli de l’acte délictueux pour un déni. Il n’en n’est rien.
Nous sommes heureux de pouvoir continuer de le prendre en charge et allons tenter d’infléchir son destin de paria, précocement inscrit dans son existence, à son corps défendant. Car aurait-il pu faire autrement ? Probablement pas. Pourra-t-il, à l’avenir faire autrement ? Nous ne le savons pas. Mais nous ne sommes pas sûrs, par contre, qu’une nouvelle incarcération pourrait l’aider. Non pas qu’il soit « inaccessible à une sanction pénale » au sens de l’article 122-1 du Code Pénal qui indique une possibilité d’atténuation de la peine en cas d’irresponsabilité. Mais plutôt que, dans ce cas précis, la sanction pénale, ô combien légitime par ailleurs, renforce au final les causes du crime parce qu’elle aggrave sa position de paria et son sentiment d’indignité. Or ceux-ci sont au principe de sa vie et de ses actes délictueux.
C’est un cercle vicieux qu’il s’agit de briser. Nous avons chance de pouvoir le tenter. Là comme ailleurs, il faut savoir réduire une dette : support don’t punish !

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