Pierre Sidon

Article initialement paru sur le site de la Rencontre Internationale du Champ freudien : PIPOL7 

“We admitted we were powerless over alcohol— that our lives had become unmanageable.” Alcoholic Anonymous Big Book, Step One.

Recommandé ce matin, 25 avril 2015, par Stanton Peele sur twitter, le site TheHumanist.com fait paraître un article de Deborah June Goemans à propos d’une méthode​ ​en vogue ​pour guérir de l’addiction​*​.

​I​nspiré​ par Peele,​ psychologue promoteur de l’addiction à l’amour (voir aussi sur ce site), l’article met en exergue une de ses affirmation​s​ forte​s​ : « les meilleures antidotes à l’addiction sont la joie et la compétence. »
Mais ce qu’annonce d’entrée de jeu cette exergue, et ​qui est au fondement de la méthode ici présentée, c’est la fameuse charge contre les Anonymes dont Peele s’est fait, de longue date, l’une des figures de proue. Car la méthode,​ dénommée​ SMART​-​Recovery, prétend prendre le contre-pied des principes et de la méthode des Anonymes. La critique de Peele met en effet en cause la célèbre méthode en douze étapes du célèbre Bill sur ​son principe fondateur :​ la nécessaire reconnaissance, par l’adepte, de sa faiblesse face à une maladie considérée comme incurable. C’est cette assignation à l’échec qui, selon Peele, constitue l’une des ​failles voire ​l’un ​des dangers essentiels de la méthode des Anonymes car elle risque de mener à une « permanent addictification of people », les chronicisant dans le groupe des Anonymes ​: ​« il reste encore à l’alcoolique la tâche cruciale de sortir en dehors du groupe des AA pour mettre à l’épreuve ses sentiments nouveaux de valeur et de contrôle de lui-même »​. Pour Peel en effet, celui qui​​ se soumet à la « puissance supérieure » ​des AA est pris dans un système dont le « clergé médical » ​serait complice. (Love and addiction, Taplinger Publishing, 1975, Chap. 9.)
​Goemans s’appuie ​en outre ​sur l’existence d’études semblant démontrer la faible efficacité de la méthode des Anonymes parmi toutes les méthodes recensées​.​ ​M​ais​ elle​ reconnait que ce chemin, bien que de nature spirituelle, peut convenir à certains. Cependant ​el​l​e​ attire l’attention, avec Peele, sur le risque de « prophétie auto-réalisatrice » ​inclus dans le principe d’impuissance requis par les Anonymes. Il s’agit du premier point, et non des moindres, sur lequel s’appuie la méthode SMART : vous n’êtes pas impuissants. Le mot de victime (de la maladie envoyée par Dieu) n’est pas prononcé mais il se déduit.
Au contraire, les tenants de la méthode SMART proposent un programme d’action rationnel et pragmatisme tique. Et, bien sûr, l’ensemble tourne heureusement le dos à tout concept pathologique et se place entièrement – nous sommes aux USA – sous l’égide​ de​ la psychologie positive mue par un moteur à base d’un précurseur des TCC : la Rational Emotive Behavioral Therapy (REBT), fondée en 1955​ ​par Albert Ellis. Quatre ​de ses ​principes ​propulsent la méthode SMART : augmenter la motivation au changement, gérer les envies, s’occuper​ effectivement​ de ses affaires et le faire « rationnellement », et enfin équilibrer la balance plaisir immédiat v.s. satisfaction​ à long terme.

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Evidemment l’on s’interrogera​,​​ ​à la lumière noire des séductions diaboliques du malheur mises au jour dans les cures psychanalytiques individuelles​,​ sur la signification introuvable de plusieurs des quatre objectifs ainsi proposés, ainsi qu’à la​ pratique basée sur le groupe​ ou sur l’usage d’un site Internet​.
Mais le dispositif, fondé en 1994, séduit ​: ​1400 réunions chaque semaine à-travers six continents​, 120.000 visites mensuelles sur le site. ​Il​ mérite​ donc​ l’intérêt en tant qu’instrument prêt-à-l’usage. Peut-être ​aussi comme premier pas pour commencer de s’affranchir des assignations anéantissantes à l’origine des addictions ? C’est ​en tout cas ​ce qu’accrédite​ ​l’article de The Humanist ​au moyen de plusieurs témoignages cliniques ​émouvants.
Alors, bien sûr, la variété de l’offre permettra à chacun de faire ses emplettes au marché ​libéral ​des thérapies et chemins d’épanouissement​ personnel​. ​Mais r​este le sentiment d’une impasse de l’humanisme dans ce manichéisme des victimes-Anonymes opposées aux entrepreneurs du self. C’est que le traitement par le groupe et la résorption de la singularité dans un universel du bien prôné par la psychologie positive renvoie le sujet souffrant à l’opacité de sa jouissance. Cet « humanisme aux coordonnées naïves », qui « est vouloir que l’Autre soit pareil (…) se désoriente complètement quand le réel de l’Autre se manifeste comme pas pareil du tout (…) Alors on s’insurge. Alors c’est le scandale. On n’a plus d’autre recours que celui d’invoquer je ne sais quel irrationnel », nous enseigne Jacques-Alain Miller (Cours Extimité, 27 novembre 1985, inédit.) Au contraire, affirme Jacques-Alain Miller, commentant Heidegger : « Il y a d’abord un jeté dans le monde, un donné à personne, et après on essaye de s’arranger avec​. » (Ibid, 23 avril 1986). Et c’est de ce point situé comme impasse de l’humanisme, que s’origine la voie ​étroite sur le chemin​ escarpé​ d’une ​réalisation singulière​, vers ce « il y a »​ ​: celle que permet ​l’appui assuré sur un psychanalyste ​dans l’avènement d’un ego ​blessé ​vers l’assomption de ​s​a responsabilité. ​Il nous reste à faire valoir notre méthode et croître notre offre en ce sens. ​

​* ​http://thehumanist.com/magazine/may-june-2015/features/self-management-recovery-training-a-smart-humanistic-approach-to-addiction-recovery