Le CIEC, Centre d’Investigations et d’Études Cliniques de Cordoba en Argentine, est une association du Champ freudien. Elle édite une revue, La Lúnula, la lunule en français, consacrée à la sphère de l’oralité et qui tire son nom de son intention : « prendre part aux débats de l’époque et tenter de rendre la psychanalyse transmissible au plus grand nombre. » On peut lire l’éditorial sur son site. Dans sa dernière livraison, elle a interrogé Éric Laurent. Voici l’interview :

Traduction Luis Iriarte Pérez et Pierre Sidon

L.L. : Tel que vous l’avez pointé à plusieurs reprises, les addictions se révèlent aujourd’hui comme le mode privilégié de traitement de l’angoisse. Comment se présente l’oralité dans ce phénomène des addictions ?

E.L. : Dans son Séminaire VI, Lacan rappelle les tentatives de classifier l’objet toxique dans les étapes du développement. Glover l’a situé entre l’objet paranoïde et l’objet névrotique. Il a été le premier à remarquer que n’importe quelle chose pourrait fonctionner comme support de l’addiction. Chez Glover il y a un double mouvement : en même temps qu’il veut donner une place définitive au toxique, il constate son ubiquité. Il est partout, dans n’importe quel l’objet. L’oralité est intéressée par le toxique, mais les autres circuits pulsionnels peuvent y participer aussi. Quelque soit le circuit, le surmoi éructe son commandement « Jouis ! ».

L.L. : Est-ce que le caractère primordial sous lequel se présente l’oralité dans son rapport autres pulsions, pourrait lui donner une place privilégiée en ce qui concerne la jouissance ?

E.L. : On pourrait discuter le « primordial » de l’oralité. Les deux objets ajoutés par Lacan, la pulsion scopique et l’invocante, pourraient être classées comme quelque chose de plus « primordial ». L’essentiel c’est de se libérer de l’illusion de l’archaïque. C’est la contingence structurale de la rencontre avec la jouissance qui est déterminante.

L.L. : Vous aviez parlé de l’hystérie rigide. Comment entendez-vous dans votre pratique la mise en fonction de la pulsion orale dans les nouvelles hystéries ?

E.L. : La relation entre le sujet hystérique et la fixation orale, nous la remarquons dans la psychanalyse depuis Dora. C’est-à-dire qu’on a toujours articulé le double aspect du problème dans l’hystérie : la non-satisfaction cruciale du sujet, le « moins de », est au premier plan. Mais en même temps il y a une fixation à un circuit pulsionnel depuis le début. L’actualité des anorexies-boulimies pour les sujets hystériques nous permet d’interroger jusqu’à quel point le sujet se place, confronté à cette jouissance, dans un au-delà du Nom-du-père : jusqu’à quel point le sujet se soutient sans l’aisance qu’apporte cet appui.

L.L. : Lorsque la valeur de semblant de l’objet a est révélé, on peut discerner une jouissance qui n’arrivait pas à être reconnue. Comment pourriez-vous expliquer la place de la pulsion par rapport à la substance jouissante dans l’expérience analytique ?

E.L. : Le circuit pulsionnel est, sans doute, un montage particulier qui s’articule au corps du « parlêtre ». Quelque chose dérange la substance. C’est dans la répétition, le « même ». Pour le réel de la répétition, ce qui est important c’est que ce soit la matière, le matériel de la lettre qui se répète. « La notion de matière est fondamentale : elle est ce qui fonde ce même ». On comprend la raison pour laquelle Lacan classait à la fois l’hystérie présentée par Cixous de rigide et de « matérielle ». Elle présente quelque chose sous l’aspect du même, qui se répète hors du sens, qui n’a pas besoin du sens. Pour cela, cette matière, cette matérialité du même de la répétition n’est pas une pure substance. La substance reste du côté de ce qui ne change pas.