Nous reproduisons ici un extrait de l’interview remarquable à Éric Laurent parue initialement le 24/04/2012 dans Lacan Quotidien n°204. Y sont abordés les thèmes mêmes de nos préoccupations. La psychanalyse y est présentée comme réduction des risques, à l’instar des politiques concernant les drogues, largement commentées ici. A lire d’urgence !

Buenos Aires

Fernanda Otoni – « La politique de la psychanalyse à l’ère du droit à la jouissance », est le thème retenu par la communauté de l’EBP-MG pour sa XVIIème Journée qui aura lieu en octobre 2012, à Belo Horizonte (http://jornadaebpmg.blogspot.com.br/). Face aux reconfigurations contemporaines, la psychanalyse d’orientation lacanienne doit être présente et active dans les discussions publiques qui la prennent pour objet.

Dans le Minas, particulièrement, depuis la VIIème Conversation réalisée à l’Institut de Psychanalyse et Santé Mentale (http://www.institutopsicanalise-mg.com.brpsicanalise/almanaque/almanaque.htm), nous avons traité la question de la politique mise en oeuvre en ce qui concerne l’alcool et les drogues, avec les gestionnaires du secteur public, les chercheurs et les travailleurs de ce secteur. Les difficultés sont majeures. Elle traverse au quotidien toutes les couches sociales, nous invitant à un engagement responsable : Comment la psychanalyse peut-elle contribuer au débat actuel ? Quelle réponse la politique de la psychanalyse propose-t-elle face aux impasses de son époque ?

La commission scientifique de la Journée d’octobre a donc décidé d’inscrire au programme de cette XVIIème Journée un moment politique inédit, en invitant le public au premier Forum d’orientation lacanienne de l’EBP-MG « Drogues : au-delà de la ségrégation ».

(…)

E.L. –Un forum est d’autant plus riche qu’il fait apparaître ce qui est irréductible aux classes préalables des discours. Je sais qu’une des questions que vous voulez soulever est la légalisation des drogues. C’est un thème qui échappe, en effet, à la classification entre camps. A droite le premier magazine, le premier think tank, qui a plaidé pour la libéralisation des drogues est le libéral The Economist. Mais vous avez aussi des gens de gauche qui sont favorables à la libéralisation. Et vous avez des gens de droite qui y sont opposés, comme le président Nixon, qui a déclaré la “War on drugs” en 1971, avec les échecs que l’on constate quarante ans plus tard. Notre candidat à la présidence de la République, François Hollande [élu le 6 mai dernier, NDLR], qui a d’abord pensé inscrire dans son programme la légalisation de la consommation de la marijuana, est revenu sur ce point, en disant que ce serait mettre en péril le statut de l’interdit. Lui-même est donc divisé entre une mesure et une autre. En même temps, il y a, dans son parti, un autre courant qui pense que c’est encore « trop Mai 68 », que tout cela va contre la nouvelle moralité de gauche à construire pour éviter les dérives de la société. Parmi les spécialistes et les soignants, de sensibilité de gauche comme de droite, il y a un grand courant plutôt pour la libéralisation. Les avis sont très hétérogènes, en Europe.

D’ailleurs, il est frappant de voir qu’actuellement l’Amérique Latine, qui souffre particulièrement de l’impact de cette « guerre », voit s’affirmer une demande de libéralisation qui traverse les frontières des camps politiques. Au sommet de Cartagène le mois dernier, celui qui a porté la demande de reconsidérer la question de l’interdiction est le président du Guatemala, homme de droite parfaitement convaincu, élu sur des thèmes en faveur de la loi et de l’ordre. Après discussion avec le Président colombien, qui lui aussi est un homme de droite, soutenu par les Américains, tous deux ont fait un constat d’échec massif des politiques actuelles. Ces présidents ne sont vraiment pas des gens de gauche – c’est le moins qu’on puisse dire -, ils n’en sont pas moins préoccupés par ce qui se passe aujourd’hui au Mexique et, plus globalement, par les conséquences engendrées par la prohibition des drogues. En effet, celle-ci répète exactement ce qui a eu lieu dans les années vingt du fait de la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis : un chaos social, un renforcement de toutes les mafias, un gangstérisme qui a failli échapper à tout contrôle social. Cette situation a nécessité la construction d’appareils de répression qui n’existaient pas à l’époque. Mais la véritable solution par laquelle les USA sont venus à bout de toutes ces mafias, a été la légalisation de l’alcool.

La commission latino–américaine de réflexion sur cette question, composée des anciens présidents du Mexique et du Brésil comprend des hommes comme Fernando Henrique Cardoso – homme de gauche favorable à la légalisation depuis longtemps et qui a exercé son influence en ce sens. Il y a aussi dans cette commission des hommes de droite comme Vicente Fox, qui ont l’idée qu’il faut penser ça autrement. C’est très intéressant pour un psychanalyste parce qu’on voit comment les différents camps sont traversés par la tolérance à l’égard de la pulsion, ou bien par l’impuissance de l’interdit. L’attitude libéralisatrice ou prohibitrice est répartie entre les sensibilités politiques. Il y a une gauche morale, comme il y a une droite austère.

F.O. – Il est intéressant de penser, en suivant ce fil, que la « guerre aux drogues », a été portée par différentes forces politiques moralisatrices au cours des quarante dernières années. Aujourd’hui, nous sommes dans de meilleures conditions pour en situer les conséquences. Nous assistons à un échec… D’autres arguments et d’autres forces se font jour. En Amérique latine, en particulier au Brésil, la guerre aux drogues s’est construite, prioritairement, avec l’appui de la force criminalisante et ségrégative qui a abouti à l’emprisonnement d’une quantité incalculable de pauvres et de jeunes, de plus en plus jeunes, qui se servent de la drogue pour leur propre consommation, et donc l’adopte comme mode de travail, puisque étant dépendants, ils trafiquent, etc. Nous écoutons parler ceux qui souffrent des conséquences de cette politique mortifère et nous voulons débattre non seulement de la légalisation, mais aussi, des conséquences de la criminalisation.

E.L. – Je disais, il y a quelques mois à la suite d’une conférence que j’ai faite sur cette question de la drogue à Bahia, que la position actuelle de la Commission interaméricaine d’études sur cette question était justement au-delà du faux débat entre interdit ou libéralisation. Nous sommes maintenant au-delà, par ce que l’échec de la guerre – War on drugs – est reconnu par tous. En même temps, tout le monde voit que la légalisation sans frein donnerait un aussi grand « Pousse-à-la-mort » que l’interdit. Ce sont les deux faces du surmoi. C’est aussi bien le jouir sans entrave que le zéro-tolérance qui produit les deux faces d’un même appel à la mort. Ce pousse à la mort se vérifie, s’incarne spécialement bien avec la drogue, qui va avec le trafic des armes, qui va avec la mort. Pour le lien entre la drogue et la mort, il n’y a qu’à voir le Cartel Zeta au Mexique, les abominations qui se commettent dans le contrôle des zones de drogue qui dépassent même les crimes racistes. L’horreur de la pulsion de mort qui se dévoile là est tout à fait inimaginable.

Il s’agit de s’extraire aussi bien du surmoi qui dit « jouis ! » et qui pousse, que de celui qui dit non, ce surmoi policier qui tue en tout temps. Pour s’extraire de ça, il s’agit de considérer les différentes substances toxiques une par une et d’inventer quelle serait la façon la plus intéressante de réduire les dommages que chacune cause. Sur la réduction des dommages, vous m’avez passé un document de travail rédigé par un avocat et député brésilien, Marcos Rolim, qui fait très bien le point là-dessus. Cette perspective, qui n’est pas de guérir l’humanité de ces substances, ni de l’abandonner à ces toxiques, mais de réduire les dégâts, consonne avec la psychanalyse. La psychanalyse ne promet pas la guérison absolue du symptôme, mais certainement la réduction des dégâts et leur transformation en quelque chose de plus vivable pour le sujet.

F.O. – Différents acteurs engagés dans la discussion lors de la présentation des résultats d’un travail ainsi orienté ont soutenu la nécessité de déplacer le problème dans le débat actuel, du champ de la politique pénale à celui des politiques publiques de santé et de l’assistance sociale. A la place d’investir en police répressive et en incarcération généralisée – les chiffres sont astronomiques pour maintenir cet apparat – le financement du gouvernement devrait se diriger vers les politiques sociales et de santé. Que pensez-vous de ce déplacement, de ce changement de direction ?

E. L. – Je crois qu’il y a un piège à opposer la santé et la justice. Dans une perspective historique ou « foucaldienne », la santé est un exercice disciplinaire. La santé est devenue dans nos sociétés la façon la plus exemplaire de discipliner les populations. Elle consiste à remplacer les lois, le système légal, par le système des normes, des normes de santé. Je crois que le déplacement des frontières entre santé et justice, constant dans nos sociétés modernes, relève d’un déplacement à l’intérieur d’un même problème ; les conséquences varient, certes, mais il ne faut pas perdre de vue que c’est un déplacement dans un même champ.

Bien sûr, lorsque le système judiciaire produit des lois folles sur la criminalisation de la drogue et de ses usagers, les conséquences sont au-delà des normes. Aux États-Unis, les prisons sont remplies à 80% de gens qui ont eu un rapport avec la drogue, depuis les simples consommateurs jusqu’aux dealers de toutes sorte, petits et gros1. Cela produit un encombrement massif.

F.O. – C’est la même chose au Brésil…

E.L. – Et comme cela touche particulièrement les pauvres et donc les Noirs, en raison de cet emprisonnement massif, on note qu’actuellement, un enfant noir américain a moins de chance d’être élevé par ses deux parents qu’au temps de l’esclavage. C’est une formule très frappante pour l’Amérique, qui saigne toujours des plaies liées aux conséquences de l’esclavage. C’est une ségrégation qui s’applique, de fait, aux Noirs américains, et fait peser cette criminalisation folle d’un poids très lourd.

On peut très bien avoir des normes de santé qui soient folles, elles aussi ! Ainsi, les normes hygiénistes avec leurs aspects pervers, ou les exigences de normalité absurdes. Le déplacement des frontières entre justice et santé, doit être pensé avec ce souci en tête. Ceux qui élaborent ou vont élaborer tout un nouveau corpus légal devront le faire en étant sensibles aux effets contradictoires, aux effets pervers – comme on dit – de certaines mesures, des effets qu’on ne calcule pas. Il faut être attentif à ça, aux renversements dialectiques, il faut avoir des esprits souples.

F.O. – Très intéressant car cela nous fait penser que si nous continuons dans une perspective normative et disciplinaire, nous ne recueillerons pas les effets d’un déplacement. Je me suis rappelé une situation qui s’est produite en mars dernier, quand la Commission des Affaires Sociales du Sénat brésilien se préparait à voter le projet de loi 111/2010, qui autoriserait « l’hospitalisation d’office » de l’usager de drogues, sur la seule production d’un rapport médical. Tel projet de loi, dans son texte initial présenté par un sénateur, prévoyait la prison pour l’usager. Au vu du débat actuel, deux autres sénateurs, de l’opposition, ont « amélioré » dit-on le texte original en changeant la prison pour « l’hospitalisation d’office » ce qui, en vérité, ne change ni sa visée normative et disciplinaire, ni le destin de l’usager de drogues, ségrégatif.

E.L. – C’est un exemple très parlant. Dans d’autres domaines, celui des délits et crimes sexuels par exemple, il y a des traitements obligatoires. Une sanction disciplinaire oblige le sujet à un suivi médical ou un traitement avec ou sans son accord. Avec la folie depuis le milieu du XIXème siècle, le moment de glissement des frontières entre santé et police/justice a eu lieu. Le passage à l’acte psychotique a toujours, bien entendu, posé beaucoup de problèmes. Selon les oscillations de la tolérance ou de l’intolérance dans la société, on a rangé le sujet psychotique du côté de la justice ou du côté du soin, en tenant compte des conséquences sur l’ordre public.

Actuellement en France, des lois très répressives visant les sujets psychotiques ont été adoptées. On arrive aussi à une conception folle où pratiquement tout psychotique peut être considéré comme un criminel en puissance. Cela produit des effets traumatiques et fait division entre les soignants, et des paradoxes. Pendant longtemps, les médecins ont demandé qu’un criminel psychotique soit considéré comme irresponsable. L’irresponsabilité permettait de le traiter dans des établissements spécialisés. Étant donné maintenant que les établissements spécialisés sont pleins et qu’il n’y a pas de moyens, pas de crédits pour la psychiatrie, les médecins n’en veulent plus. Ils considèrent, au contraire, qu’il faut déclarer responsable le plus de gens possible pour les mettre en prison. On voit ainsi des cas de personnes ouvertement folles considérées comme pervers narcissiques, ce qui permet de les rendre responsables ; de ce fait, elles vont en prison et n’encombrent pas l’hôpital. De même, les confusions de doctrine font qu’il est maintenant très difficile de dire d’un sujet qu’il est fou, car il ne peut être fou que selon la neurologie. Partout la doctrine psychiatrique est en crise et, disons-le, plus personne ne croit à la folie appelée psychose : cela n’existe plus. Le criminel norvégien qui a tué soixante-dix personnes cet été, actuellement jugé en Norvège, est soumis à une deuxième expertise psychiatrique pour montrer qu’il n’est pas fou ! Il est cruel, mais il n’est pas fou. La preuve c’est qu’il a écrit mille pages qui sont compréhensibles, cohérentes. Le fait qu’un délirant écrive sans faire de fautes d’orthographe n’était pas jusqu’ici considéré comme preuve qu’il n’y avait pas de délire. Maintenant si ! Simon Baron Cohen, de l’université de Cambridge, qui est un théoricien des neurosciences par ailleurs, a écrit dans une tribune que lui ne considérait vraiment pas que Breivik devait être considéré comme fou. Il n’était pas paranoïaque.

F.O. – … Comme cela est ancien ! Rappelons-nous le livre de Foucault, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère, qui montrait Esquirol et d’autres experts se penchant aussi sur le mémoire de Pierre Rivière à la demande du tribunal, mémoire dans lequel il exposait, avec clarté et cohérence, les détails de sa vie et les raisons de son crime. La lucidité de ses écrits avait perturbé les experts et les classifications diagnostiques de l’époque. Cet embarras classificatoire des diagnostiques, pronostics, responsabilités, etc. semble venir de loin, non ? Qu’est-ce que la psychanalyse peut offrir à ce débat actuel et ancien ?

E.L. – Nous sommes dans un mouvement de civilisation où la seule certitude vient de la Science, où la psychiatrie n’existe plus puisqu’elle est résorbée dans la neurologie, où tout ce qui concerne les passages à l’acte devient une grande énigme. Pour traiter la question des toxiques, celle des passages à l’acte ou des crimes sexuels, il sera nécessaire de reconstruire, dans les prochaines années, un appareil de pensée médico-légal, et celui-ci traversera les frontières entre les ministères concernés. On va assister au conflit des ministères, ministère de la santé et ministère de l’intérieur, entre médecine et police. Il y aura à la fois des collaborations et des tensions sur des lignes très diverses. Il faudra pouvoir penser cela au-delà de l’opposition entre les deux versants du surmoi. Les psychanalystes pourront être utiles à donner plus de souplesse à des réflexions, ils n’auront pas pour autant réponse à tout. Personne ne sait ce qu’est le bien, comment on obtient le bien, ni celui des sujets un par un, ni celui des sociétés. C’est l’objet d’une négociation démocratique comme telle, sans l’idée qu’il y a une bonne réponse fixée à l’avance.

F.O. – Notre conversation a cheminé pour éclairer ce que la politique de la psychanalyse fait en soutenant l’ouverture à la variété, à l’hétérogénéité, comment elle peut se donner chance de faire apparaître l’élément irréductible à la normalisation, comme nous le constatons aussi dans les témoignages de nos AE. C’est par cette voie que la psychanalyse trouvera sa position dans le dialogue avec les autres champs du discours, visant à contribuer là où l’impasse se présente dans la société, visant à introduire là une certaine porosité.

J’ai pu relire récemment une interview de Jacques-Alain Miller, sur « Lacan et la Politique », publiée dans la revue Cité, en 2005. J.-A. Miller y disait alors, que la psychanalyse ne s’adresse pas à l’homme de la masse, mais au un par un. De ce que la psychanalyse a changé le monde, les exemples sont divers, mais « c’est par ce biais que la psychanalyse a changé le monde, plutôt que par une influence directe sur la politique, en chuchotant à l’oreille des princes », soit à partir des effets de la psychanalyse sur chacun, un par un. Néanmoins, actuellement, les princes ne se trouvent plus dans la même place qu’avant. La psychanalyse va vers le public. Il ne suffit pas de chuchoter à l’oreille des princes, la psychanalyse d’orientation lacanienne prend la parole, se présente. Qu’est-ce qui a changé dans l’époque contemporaine, à l’ère du droit à la jouissance, qui nous invite, nous analystes, à présenter et à apporter au débat public cette variété, hétérogénéité, à faire trou dans le discours massif qui ne cesse de vouloir tout normaliser ?

E.L. – Ce qui a changé dans la politique c’est la nouvelle société des normes. La société des lois a reculé et fait de plus en plus de place à la gestion du monde par des bureaucraties édictant des normes. Les bureaucraties sanitaires sont un grand fabricateur de normes de vie, avec des difficultés, des contradictions. Les variations classificatoires peuvent provoquer des « épidémies » terribles. La dernière en date est l’épidémie d’autisme qui fait qu’une maladie qui affectait, il y a trente ans, un enfant sur deux cents, affecte maintenant un sur cinquante, ce qui fait qu’avec la dissymétrie entre les sexes, maintenant, dans une société développée, un garçon sur trente-cinq est autiste. On n’a jamais vu ça, on n’a jamais vu une telle augmentation chiffrée dans l’histoire de la clinique.

Ce type d’épidémie où le critère classificatoire est très important diffère d’autres épidémies comme celle de l’obésité qui touche maintenant une mère de famille sur trois aux USA, avec comme effet secondaire majeur une épidémie de diabète, devenu la cause de mortalité numéro un dans nos sociétés.

Ces phénomènes que les bureaucraties sanitaires doivent gérer ne peuvent être réglés à l’aide de la loi, mais plutôt à l’aide de normes et de modifications des normes qui essaient d’enrayer le développement de phénomènes d’impasses dans la civilisation, comme dit Lacan. Par exemple, l’obésité est multifactorielle, la génétique n’explique, semble-t-il, que 20%, peut être 30 % des cas au maximum ; on a ensuite affaire à des phénomènes de société : l’effondrement des familles, le fait qu’il n’y a plus de norme sur l’objet oral, qu’on mange tout le temps, que le junk food est partout, qu’on empêche de fumer. Il y aura donc une génération avec moins de cancer du poumon (ce qui est excellent) mais avec beaucoup plus de diabète. Parce que les gens qui ne fument pas mangent. Ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre, etc.

Les contradictions, les impasses sont massives et rendent ces phénomènes très difficiles à gérer. D’où une demande de solutions simples. La première solution, c’est bien sûr le médicament. Mais on voit après quarante ans de diffusion massive des médications psychotropes, que les sociétés développées n’ont pas réglé leurs problèmes de santé publique, bien au contraire. C’est plutôt le médicament psychotrope qui devient le problème.

Ce sont les difficultés de gestion qui ont changé dans les sociétés démocratiques, à l’époque que Lacan a appelée celle de la « montée au zénith de l’objet petit a », c’est-à-dire la question de la jouissance. Nous ne sommes plus au XVIIIème siècle où l’on parlait de la recherche légitime du bonheur. Au XXIème siècle, c’est la recherche de la jouissance qui est un droit légitime, lequel provoque des conséquences dont nous ne cessons de découvrir la complexité dans nos sociétés.

La psychanalyse depuis Freud a l’idée que la politique est une question d’identification. Comme le rappelait Jacques-Alain Miller, la politique, c’est des signifiant-maîtres, c’est-à-dire des identifications. Le discours du maître gère des signifiant-maîtres qui sont des identifications qui peuvent cristalliser en impasses. La psychanalyse peut aider à ce que ces identifications soient suffisamment souples pour ne pas provoquer ces phénomènes surmoïques liés à la volonté de maintenir une identification envers et contre tout. On le voit dans le surmoi communautariste, qui tente de maintenir un lien social sur un seul trait identificatoire, puis inspire une politique de reconnaissance à tout prix de cette identification. C’est un puissant dissolvant du discours commun. Le lien social est alors transformé en un affrontement de communautés.

Dans la clinique psychanalytique, les psychanalystes ont l’expérience de voir comment les sujets, un par un, peuvent trouver leur solution propre, au-delà des grands discours identificatoires, du « prêt-à-porter » commun que chacun trouve dans la société, dans les identifications que lui a transmis sa famille, que lui a transmis le destin. Dans l’expérience de la cure, le sujet cherche une solution viable à l’exercice de son droit à la jouissance. C’est cette expérience que les psychanalystes peuvent transmettre à d’autres disciplines, d’autres discours, pour essayer d’assouplir les catégories communes et les rendre propres à accueillir ces impasses de la jouissance qui se manifestent dans une dimension tout à fait inédite, au XXIème siècle

Nos remerciements à Fernanda Otoni pour son travail de traduction, et Nathalie Georges-Lambrichs pour son travail dédition. NDLR.

Lire l’intégralité de l’interview sur le site de Lacan Quotidien…