Mathilde Braun

Voici ce que l’on peut lire sur le site de l’ARS Centre à addictions :

« L’addiction est « la rencontre entre un produit, un individu et un contexte socio-culturel », pour reprendre la description du Dr Claude Olievenstein, psychanalyste français d’origine allemande.

Elle se caractérise par un état de besoin vis-à-vis d’une drogue ou d’une pratique (les jeux, les achats compulsifs, le sexe…) qui marginalise l’individu et le met en souffrance. »

Si l’on s’attache à l’étymologie du mot « prévention » qui est « action d’arriver le premier », il s’agirait alors, pour les intervenants en prévention, d’arriver avant la rencontre entre un individu et un produit qui le marginaliserait et le mettrait en souffrance. La marginalisation et la souffrance sont données, dans la définition de l’ARS, comme un effet de la dépendance au produit et non comme cause.

La prévention de cette rencontre étant impossible car toute rencontre tient à une certaine contingence et à la jouissance toujours singulière d’un individu, il serait donc demandé aux « préventeurs » de supposer que l’ensemble des individus est susceptible de faire cette rencontre.

Cette supposition est au cœur même de la prévention, telle qu’elle est définie dans un sens second, celui de « préjugé, opinion préconçue, en général défavorable, à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose », ou encore « fait de porter sur quelqu’un ou quelque chose un jugement hâtif où interviennent souvent des critères affectifs, et en tout cas préalable à tout examen ».

La prévention se ferait-elle sur une opinion préconçue ?

A l’Unité de Prévention dans laquelle j’interviens, nous avons décidé d’essayer d’être sans préjugé dans nos actions concernant les produits psychoactifs en direction des adolescents. Cette année, nous avons inauguré des séances en demi-classe avec un intervenant et non plus en classe entière avec deux intervenants, et nous nous sommes débarrassés des supports vidéo formatés qui nous encombraient. Nous nous appuyons désormais sur ce que chaque élève peut dire, faire entendre de son rapport à certaines substances, aux autres et à sa jouissance.

Sans support autre que la parole et avec de petits effectifs d’adolescents, le pari d’une rencontre cette fois-ci de langage peut s’envisager.

Mais si la plupart des ados se saisissent bien de cette possibilité d’agrafer un peu de leur jouissance dans les mailles du langage, ça ne fait pas l’affaire de certains de leurs éducateurs ou professeurs. En effet, cette perte fait parler, à l’inverse du discours formaté ou de la prise de produit qui induisent le silence ; pour l’un celui de l’ennui, pour l’autre celui de la pulsion.

Deux petites vignettes pour illustration : nous sommes intervenus sur l’ensemble des classes de seconde d’un gros établissement scolaire, autour de la consommation de produits psychoactifs. A l’issue de nos interventions, nous avons eu des plaintes de professeurs mécontents qui avaient appris que nous intervenions sans support, donc sans préjugé. Nos échanges avec ces élèves de seconde avaient alerté leur intérêt et les avaient réveillés.

Ainsi, ils étaient ressortis des séances assez étonnés et surpris d’apprendre que le cannabis qu’ils fumaient ne détruirait pas leurs neurones.  Ils tiennent à leurs neurones autant qu’à leur jouissance, c’est cela qu’ils avaient fait savoir et que les professeurs n’avaient pu entendre.

Dans un autre établissement et toujours sur l’ensemble des classes de seconde, c’est sur le thème de la pression scolaire que nous étions intervenus, avec le support d’un photolangage pour nos échanges. Là aussi nous avions eu affaire à des professeurs mécontents : les élèves avaient fait savoir que la pression était d’autant plus supportable que les professeurs étaient passionnés par la matière qu’ils enseignaient.