Pierre Sidon

Une interview récente de Jean-Pierre Couteron (26 fév. 2014, site du GREA), psychologue, président de la Fédération Addiction, fait état de pistes sérieuses pour une politique en addictologie. Elle met l’accent sur la nécessité, selon lui, d’un transfert de charge du thérapeutique vers l’éducatif et de la personne vers son environnement. Sa conclusion : ne pas interdire aveuglément (« inutilité des politiques de prohibition ») mais « se redéployer dans la société » pour la « rééquilibrer en permanence ». Si l’on ne peut qu’abonder pour la première proposition, la deuxième nous interroge : n’y a-t-il pas là le risque d’un discours du type : homme bon, société mauvaise : Rousseau revividus ?

« – ça demande, nous dit le président, (…) de ne plus être dans des lieux des soins dans lesquels on recevrait des personnes qui en auraient besoin (il faut encore que certains d’entre nous restent dans des lieux de soins pour recevoir ceux qui en ont besoin) mais qu’une partie d’entre nous se redéploie en direction du public : usagers mais aussi les environnements de ces publics : les familles, les éducateurs, les travailleurs sociaux pour un peu sensibiliser à cette société addictogène et donc développer on pourrait dire les mesures qui viennent équilibrer (…) Les outils de l’éducation et les outils du soin doivent venir rééquilibrer en permanence le courant dominant d’une société. »

Rééquilibrer la société : un grand projet en effet. Mais comment faire ? Se donner en exemple d’ataraxie pour ses contemporains ? Personne n’y songe. Amener les brebis égarées dans la frivolité des biens d’ici bas vers une spiritualité salvatrice ? Pas le genre de la maison. Et après la prévention adressée aux parents pour protéger les enfants du consumérisme, quelle prochaine étape prévoit-on ? Certes pas de les retirer à leurs parents pour les envoyer travailler la terre dans des campagnes à l’abri des miasmes des villes aux moeurs corrompues. Bref, on aimerait en savoir plus et nous nous fixons comme programme d’étudier dans les mois qui viennent la prévention et ses formes contemporaines de programmes de renforcement des compétences sociales.

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Résumé de l’interview :

« La société n’est plus comme avant :

1.Modification de l’appartenance :

1/ Modification généralisée de presque l’ensemble des contenants culturels.

2/ Modification des contenants sociaux.  Les métiers changent.

3/ Modification du contenant familial.

 

II. Augmentation des facteurs de vulnérabilité :

Crise, désocialisation entrainent insécurité sociale.

 

III. Intensification forte :

1. de la vitesse : des réponses, des déplacements. Comme dans les addictions.

2. Sensorielle : n’importe quel objet culturel a pris un niveau d’intensité qui n’a rien à voir. Marion Bartoli arrête car il faudrait changer d’épaule et de dos. Au tennis on regarde l’écran qui indique la vitesse de la balle. Idem pour la voiture mais aussi, cf. Gilles Lipovetski, au cinéma : où des effets spéciaux, sensationnels, remplacent des éléments de scenario.

Avant même d’avoir fait l’expérience des produits, on est prêts à ressentir le plaisir que nous donneront ces produits : c’est une porte d’entrée aux addictions.

Conséquences : On passe du modèle de la maladie addictive à un modèle où l’on accompagne des personnes avec maladie addictive : accompagnement plutôt que prise en charge, aller chercher outils comme réduction des risques, intervention précoce, prévention…

Ça demande de ne plus être dans des lieux de soins – il faut qu’une partie d’entre nous se redéploie en direction des publics et de leur environnement pour un peu sensibiliser à cette société addictogène et développer les mesures qui viennent équilibrer les outils de l’éducation : rééquilibrer le courant dominant d’une société.

Rencontrer l’autre, « aller vers » (le nouveau slogan qui nous réchauffe le rapport sur la psychiatrie des Dr Piel et Roelandt !)  Soit :

– réfléchir à l’inutilité des mesures de prohibition. Ce discours est presque pervers car il y a une hyperoffre, hyper provocation à la consommation.

– dans le champ de la régulation : définir mieux ce qu’on interdit. Assouplir la pénalisation.

– décloisonner les rôles de professionnels, aller vers familles et environnement notamment : la société n’est pas que négative, ce n’était pas mieux avant. Nos politiques doivent faire contrepoids. Ne pas interdire nécessairement mais apprendre à accompagner cet usage. Travailler avec les familles pour retrouver cette fonction éducative. »